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À Blida, au lendemain du crash…

À Blida, au lendemain du crash…

La circulation sur l’autoroute qui mène d’Alger vers Blida est inhabituellement fluide en cette matinée du jeudi 12 avril. Le soleil printanier est de retour après une journée de grisaille. Les champs et vergers qui s’étendent à perte de vue, bordés de haies de conifères, rivalisent de beauté avec leur feuillage épais et verdoyant, les prunes et pêches qui commencent à prendre forme, les grappes naissantes et les premiers épis qui dressent hardiment leurs pointes vers le ciel bleu.

©TSA


Mais l’ambiance est plutôt lourde. La tristesse se lit partout. D’abord sur les visages des sentinelles de la base aérienne de Boufarik d’où est parti, la veille, un Iliouchine IL 76 pour s’écraser quelques secondes après son décollage. Dans les guérites de garde installées à équidistance le long du mur d’enceinte, sur plusieurs kilomètres, de jeunes soldats, fusil en bandoulière, ont l’air pensif, les traits fatigués.

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Partout, la tristesse

À mesure qu’on s’approche du lieu du drame, l’ambiance se fait de plus en plus pesante. Au centre-ville de Beni-Merad, à mi-chemin entre Boufarik et Blida, les rues sont presque désertes. De même que les cafés, d’habitude grouillants de monde à cette heure de la journée. Unique sujet de discussion des rares présents, l’avion de l’armée qui s’est crashé mercredi tout près de chez eux. Précisément au quartier Kritli, anciennement haouch Brissoni, comme le prononcent ses habitants. L’orthographe est incertaine, mais impossible de vérifier, l’endroit est très peu connu.

©TSA 


« Même les premiers agents de la Protection civile qui sont arrivés sur les lieux ont mis du retard car ils ont dû s’arrêter plus d’une fois pour demander leur chemin », nous apprend Saïd, un habitant des lieux, comme pour dire que le haouch, même envahi par le béton comme tous les villages de la Mitidja, n’est connu que de ses seuls habitants. Mais les choses vont changer pour la petite bourgade en cette fatidique matinée du mercredi 11 avril 2018. Un vrombissement assourdissant, entendu de tous les recoins de la région, allait la sortir de l’anonymat.  

Des flammes et une épaisse fumée noire  

Le crash a eu lieu à une centaine de mètres des premières habitations, au beau milieu d’un verger de citronniers. Ceux qui ont assisté à la scène témoignent volontiers. « J’étais dans la ferme quand j’ai entendu un bruit anormal. En sortant, j’ai vu un avion, à peine sorti de la base militaire, s’approchant dangereusement du sol. Il était peut-être à 30 mètres, presque complètement penché sur le côté et avait une aile en flammes. Quelques secondes après, il s’est écrasé là-bas, derrières ces arbres », nous dit Slimane, employé d’une ferme toute proche, en montrant du doigt une rangée d’oléastres aux branches calcinées.

Juste après l’impact, des flammes ont commencé à jaillir de l’épave et une épaisse fumée noire à monter vers le ciel. Le bruit a fait sortir tout le monde. Samir, la trentaine, était sous la douche et a dû enfiler un survêtement à la hâte pour se précipiter dehors. « Sans m’essuyer », assure-t-il. Le jeune homme sera l’un des tous premiers à se rendre sur les lieux, avec d’autres riverains, avant même les agents de la Protection civile, les gendarmes ou encore les militaires de la base mitoyenne, dont le mur d’enceinte et les postes de gardes ne sont pourtant qu’à quelques dizaines de mètres de l’endroit.

« Les militaires ont accouru aussitôt, mais arrivés devant le mur haut de plusieurs mètres, ils ne pouvaient plus avancer. L’aéroport n’a pas de portail de ce côté-ci et ils ont dû escalader le mur. Je ne sais pas comment ils ont fait, s’ils ont utilisé des échelles ou des cordes, mais c’est pour cela qu’ils ont tardé », explique-t-il.   

Abdelkader, le miraculé 

Les jeunes du quartier ont appelé les secours sur le champ, mais ils n’ont pas attendu leur arrivée pour aller à la recherche de survivants. Heureuse initiative, car un des leurs doit peut-être la vie à leur courage. Abdelkader, c’est le gardien du verger de citronniers. Au moment du drame, il était en poste, allongé dans un container à deux étages qui lui servait de poste d’observation. En voyant l’avion foncer droit sur lui, il a eu le réflexe de sauter et de courir. Miracle. 

Le container sera réduit en bouillie mais le jeune homme de 35 ans s’en sortira. Avec de graves blessures certes, mais il est vivant.

Les secouristes improvisés commenceront par lui. Pour les autres, les passagers de l’avion et les membres de l’équipage, il n’y a rien à faire. « J’ai vu un homme se débattre, mais quand je me suis approché pour lui porter secours, il a cessé de bouger », témoigne un autre habitant. Aucun des 257 passagers de l’appareil ne survivra. Les premiers à arriver sur les lieux n’ont pu que constater l’étendue des dégâts et la violence du choc. « Des corps complètement calcinés, d’autres encore en flammes, des membres éparpillés… ».

Un autre Abdelkader, pas le miraculé, n’a pas pu tenir plus de cinq minutes sur les lieux. Devant le spectacle apocalyptique, il a préféré rebrousser chemin. Même son témoignage, il ne le continuera pas, visiblement encore sous le choc. Il trouve tout juste la force de préciser que même si les secours étaient arrivés une minute après l’accident, ils n’auraient trouvé personne à sauver. « Ils sont tous morts au même moment où l’avion a touché le sol », dit-il. 

Une longue nuit agitée  

Les camions de l’armée, les 4×4 de la gendarmerie et les ambulances de la Protection civile ne tarderont pas à envahir les lieux pour prendre le relais des courageux citoyens. Les journalistes aussi arriveront en grand nombre, ainsi que des badauds.

L’endroit n’est pas difficile d’accès à partir de la route principale qui traverse le village et, pour arriver jusqu’à l’épave, les premiers véhicules n’ont fait qu’arpenter un sentier sur lequel de grosses ornières tracées par les roues des tracteurs sont toujours visibles.

Pendant toute la journée de mercredi, et même jusqu’à une heure tardive de la nuit, les petites ruelles de haouch Kritli sont noires de monde. À 22 heures, les ambulances continuaient à acheminer les corps vers l’hôpital de Aïn Naâdja.

En ce lendemain de drame, les choses se sont quelque peu calmées, même si l’endroit grouille encore de militaires, de gendarmes et de curieux. L’épave n’est déjà plus visible. Elle a été enlevée dans la nuit à l’aide de grues géantes. Sur le lieu du crash, il ne subsiste qu’un amas de ferraille, visiblement un des réacteurs de l’avion. À côté, des oliviers, déracinés par la violence du choc, jonchent encore le sol et un corbeau d’une noirceur terrifiante rôde nonchalamment, attiré par l’odeur de la mort. 

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Tandis que les habitants, les traits tirés par le manque de sommeil, racontent l’enfer dont ils ont été témoins, d’imposants bulldozers se chargent de nettoyer les lieux et d’araser le terrain, devant l’œil vigilant des gendarmes qui maintiennent les curieux à distance. Au loin, des agents de la police scientifique, reconnaissables à leurs combinaisons blanches, s’échinent à retrouver le moindre indice qui servira à l’enquête.

« Ils cherchent la boîte noire », dit un quinquagénaire. « Non, ce n’est pas un crash en mer. Ici, les boîtes noires ne devraient pas être difficiles à retrouver. Elles émettent un signal », rectifie un autre, visiblement plus connaisseur.  

Hommage unanime au pilote  

L’Iliouchine n’a pas explosé en vol mais des débris ont été projetés jusque devant la route principale. Aussi, des dizaines de jeunes soldats ratissent en large le champ d’avoine qui sépare les premières maisons du lieu de l’impact. Munis de détecteurs de métaux pour certains, de simple bâton pour d’autres, l’échine courbée, ils scrutent l’herbe verdoyante à la recherche de débris humains ou de l’avion. Les rumeurs commencent alors à fuser.

« Ils ont trouvé une jambe, juste-là ». « Non, un bras, je ne l’ai pas vu, mais c’est ce que j’ai entendu dire ». « Une tête ». « Un… »

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D’autres préfèrent tenir des propos plus sensés. Ils évoquent le courage du pilote qui a évité une véritable catastrophe en faisant crasher son appareil dans une zone inhabitée. À voir la topographie de l’endroit, ce n’est pas facile d’éviter de faire des victimes au sol. Tout juste derrière, à quelques dizaines de mètres, la base aérienne. Pas loin devant, la ville de Beni-Merad, tandis que sur les flancs droit et gauche se trouvent respectivement l’autoroute Alger-Blida et haouch Kritli.

On ne tarit pas d’éloges sur le pilote. Son geste de bravoure est sur toutes les lèvres. « Nos pilotes sont parmi les meilleurs au monde, c’est pour cela qu’il y a très peu de catastrophes aériennes en Algérie », entend-on. Encore des on-dit, mais cette fois moins morbides. On assure que cet homme qui a fait preuve d’autant de lucidité même devant la mort était commandant, puis colonel, qu’il a étudié en Angleterre ou en Russie… Mais unanimement, on lui rend hommage ainsi qu’à tous ces jeunes soldats victimes du devoir.

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