Société

À Oran, la crise oblige les ménages à réduire fortement leurs dépenses

À l’approche de l’Aïd el fitr, les rues et marchés d’Oran grouillent de monde le soir, après le ftour. Il est 23 heures. Comme chaque soir depuis le début du Ramadan, les grandes artères du centre-ville d’Oran commencent à se remplir de monde. La température est très douce.

Aux arcades de la rue Larbi Ben M’hidi, principale artère de la deuxième ville du pays, les magasins sont loin d’être bondés de monde. À l’approche de l’Aïd el fitr, les Oranais ne se bousculent pas dans les boutiques.

« Contrairement aux années précédentes, cette année, beaucoup d’Oranais semblent réduire leurs dépenses », observe un commerçant qui tient une boutique aux arcades. « En comparaison au mois de Ramadan de l’année dernière, les ménages ont baissé leurs dépenses de consommation et n’hésitent plus à comparer et négocier les prix », dit-il.

Selon lui, « la crise a fortement réduit la consommation de beaucoup de ménages, sans doute fragilisés par la baisse de leur pouvoir d’achat ».

Avec un salaire mensuel d’un peu plus de 62.000 dinars, Salim, cadre dans une entreprise privée, affirme que « sa situation financière s’est dégradée ces derniers temps ». Père de trois enfants, ce quadragénaire, rencontré dans un magasin de vêtements pour enfants, souligne :  « Je suis contraint de réduire mes achats en raison de la hausse des prix ».

« Je cherche des sandales pour ma fille. Je ne trouve aucune paire en dessous de 2500 dinars. Et il me faut trois paires pour mes trois enfants. Je ne parle même pas d’une paire de sandale pour fillette que j’ai trouvé dans le magasin d’à côté à… 4500 dinars », dit-il.

Sous le poids de l’inflation et de la dépréciation du dinar, les prix des produits importés ont fortement augmenté ces derniers mois. « Tous mes produits sont importés de Turquie. Comme l’Euro a fortement augmenté, c’est normal que les prix augmentent », justifie de son côté le propriétaire d’une boutique de vêtements pour enfants. Mais cette hausse des prix ne fait pas les affaires des commerçants, qui ont vu leur chiffre d’affaires dégringolé.

Creusement des inégalités

Avec un revenu de 42.000 dinars par mois, Amel, infirmière et mère divorcée qui a quatre enfants, avoue, elle aussi, avoir « réduit ses dépenses et appris à davantage maîtriser les achats d’impulsion ».

« Je réfléchis davantage avant d’acheter », soutient Amel, qui scrute des yeux les produits exposés sur les étals d’un hypermarché de la ville.

Des pères de famille affirment qu’ils n’hésitent pas à « décaler les achats non prioritaires et à différer des achats importants ». La baisse du pouvoir d’achat les oblige désormais à comparer les prix. « Je cherche des promotions pour dénicher des produits moins chers », indique Amel.

En tête des dépenses les plus lourdes, durant le Ramadan et l’Aïd, Amel et Salim citent « l’alimentation et l’habillement devenus de plus en plus chers ». Plus inquiétant encore, après avoir puisé dans son épargne et rogné sur les postes de dépenses non essentiels (loisirs, vacances), Amel avoue avoir réduit en partie son budget alimentation.

Face à la crise, les ménages s’organisent : privilégier les foires commerciales et les marchés populaires. Il est 23h30. Le marché de la rue des Aurès (Ex-Bastille) situé en plein cœur de la ville d’Oran, grouille de monde. « Je viens ici car les produits sont moins chers », dit Zakia qui s’affaire à choisir une robe traditionnelle. Des robes qui se vendent entre 1200 et 1800 dinars. Ce marché est fréquenté par les ménages à revenus modestes, les plus affectés par la crise.

« Heureusement qu’il y a les marchés comme celui-ci de Mdina Djedida ou encore les foires commerciales. Autrement, je ne pourrais jamais habiller mes quatre enfants », souligne Zakia qui confie avoir même « dû renoncer à des dépenses de soins dentaires faute de moyens ».

« La crise appauvrit les plus pauvres, quand les plus riches s’enrichissent », constate M. Zegar, économiste à l’université d’Oran, qui pointe un creusement des inégalités. « Cette érosion du pouvoir d’achat n’est pas répartie équitablement à travers la population. Certains ont vu leur pouvoir d’achat grimper beaucoup, d’autres l’ont vu baisser. Il ne faut pas s’étonner de cette situation vu que notre économie est gangrenée par l’informel et la corruption. Les classes moyennes et les pauvres vivant du circuit formel restent les plus fragiles. Les salaires qui ont été revalorisés, il y a quatre ou cinq ans, n’ont pas pu s’adapter au rythme infernal de l’inflation de plus en plus fort », analyse cet économiste.

« Ce creusement des inégalités a cependant été largement compensé par les effets redistributifs des transferts sociaux. Sans ces derniers, la baisse du niveau de vie des ménages les plus modestes aurait été plus importante, ce qui aurait provoqué une explosion des inégalités », souligne cet universitaire.

« Heureusement, les prestations sociales ont joué leur rôle d’amortisseur durant cette crise. Mais ce système n’est pas sûre de s’assurer une pérennité, car faute d’alternative, notre économie est unilatéralement basée sur la rente des hydrocarbures ».

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