Économie

Algérie : cette menace qui pèse lourdement sur les barrages

En Algérie, les barrages sont confrontés au problème de l’envasement qui réduit fortement leur capacité de stockage de l’eau alors que cette ressource est de plus en plus rare dans le pays.

Sur les hauteurs du barrage de Fergoug (Mascara), une cinquantaine d’agriculteurs brandissent des pancartes. Ils dénoncent le manque d’eau et réclament la reprise des opérations de curage du barrage.

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Un barrage fortement envasé qui ne suffit plus à alimenter en eau leurs vergers. En Algérie, avec le retour des pluies, les barrages se remplissent d’eau et de terre.

Ces agriculteurs se sont installés sur une hauteur à proximité du barrage. En contrebas, l’eau a déserté les berges et quelques îlots de terre émergent, déjà colonisés par les roseaux. Sur les collines entourant le barrage, un troupeau de chèvres s’attaque à la végétation.

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Emmitouflés dans leur kachabia, les agriculteurs tiennent en main leurs pancartes. De simples feuilles A4 où sont mentionnés en gros caractères leurs doléances.

Djabouri, la soixantaine, est agriculteur à Mohammadia ; en colère, il confie à Ennahar TV : « Nos arbres sont en danger. Nous en appelons aux autorités. Ramenez nous la dragueuse qui retire la vase ou bien construisez nous un autre barrage. Nos arbres sont en train de mourir ».

« Nous n’avons pas où aller »

Mouammar, ton plus posé mais animé d’une colère froide lance : « Nos arbres souffrent et toujours, ce silence autour du périmètre de Mohammedia. Pourquoi les agriculteurs ne sont-ils pas écoutés ? Ils souffrent ».

Chaabani, un agriculteur âgé de Mohammedia : « Nous demandons qu’une dragueuse soit amenée sur place. Ils nous l’avaient promis, mais il n’y a rien. Depuis un an, on attend. Aussi, on en appelle aux plus hautes autorités du pays ».

Il poursuit : « Trouvez-vous normal de devoir irriguer les arbres une seule fois par an ? Que voulez-vous qu’ils produisent ? ».  L’engin qui permet d’enlever la vase des barrages serait garé et inutilisé à Skikda, selon les agriculteurs. « Qu’ils nous la ramènent. Le barrage d’une capacité de 18 millions de m3 ne retient plus que 200.000 m3 d’eau », poursuit-il.

Boualem, un jeune agriculteur, casquette vissée sur la tête, dénonce une crise qui dure depuis 30 ans. « C’est la fin, si rien n’est fait cette année, ce sera la disparition du verger de Mohammedia. Nous vivons de ces arbres, s’ils meurent nous n’avons pas où aller ».

Barrages en Algérie : un taux moyen d’envasement de 15 %

Mais comme à Fergoug, l’eau de pluie qui ruisselle sur le sol et qui remplit les barrages amène également de la terre. Un matériau solide qui se dépose au fond des retenues d’eau et finit par réduire leur capacité de stockage.

Fergoug n’est pas le seul cas en Algérie. Au barrage de Taksebt (Tizi Ouzou), le même phénomène est observé. Août 2020, le barrage est pratiquement vide. Les maisons englouties par la mise en eau du barrage réapparaissent. Les ruines des maisons laissent alors apparaître des murs entourés de monceaux de boue.

L’effet des pluies provoquerait chaque année l’érosion de 2.000 à 4.000 tonnes de terre par km 2. Une érosion qui prend plusieurs formes selon des experts : par nappe ou par effondrement des berges d’oueds. Des effondrements spectaculaires à chaque crue.

Pour Boualem Abdelkader de l’université de Mascara, co-auteur d’une étude sur la question, l’érosion se manifeste principalement sur les sols en pente. Il met en cause l’accélération  « des défrichements des forêts et maquis qui protégeaient les sols sensibles » et note que « la partie ouest du pays est la plus érodée, l’érosion y touche 47 % de l’ensemble des terres ».

L’Algérie serait l’un des pays les plus menacés au monde par l’érosion et le taux moyen d’envasement serait supérieur à 15 %.

 Des parades face à l’envasement des barrages

Depuis des décennies, les services concernés tentent des parades contre l’envasement des barrages : surélèvement de barrage ou désenvasement à l’aide de barges flottantes. Depuis peu, le reboisement des berges est en cours.

En juillet 2021, l’Agence nationale des barrages et transferts (ANBT) a lancé une campagne de dévasement de 38 millions de m3. Une opération coûteuse : 170 DA/m3 de vase et en moyenne 330 DA/m3 en cas de recours aux engins de terrassement et aux camions.

Dans les années 1970, les appelés du Service national avaient été mobilisés pour ce type d’opération. Il est parfois moins coûteux de construire un nouveau barrage que de procéder à un désenvasement. Mais les sites de construction sont rares. Parfois, c’est un barrage situé en amont qui est sacrifié pour protéger un barrage en aval.

Les premières opérations de dragage de barrages réalisées en Algérie l’ont été en louant du matériel étranger. En 2017, l’entreprise Alieco, filiale de l’Entreprise nationale de charpente et de chaudronnerie (ENCC) s’est lancée dans la fabrication de dragueuses de barrages.

« Sauver le barrage de Fergoug »

Les surfaces initialement irriguées par le barrage de Fergoug s’étendaient sur 8.500 hectares mais avec l’envasement les dotations en eau sont en baisse.

Cet envasement n’est pas nouveau. Dès 2017 des agriculteurs et des associations de Mohammedia avaient signé un appel : « Sauver le barrage de Fergoug ».

En 2020, le ministre des Ressources en eau s’était déplacé suite aux plaintes des agriculteurs face au retard des opérations de désenvasement.

Après avoir rencontré les représentants des agriculteurs, l’agence APS rapportait alors que le ministre avait indiqué avoir donné « un délai de deux mois à l’entreprise chargée de l’enlèvement des boues du barrage » et demandé de « renforcer ses chantiers avec des équipements conformes au cahier des charges, dont un grand engin moderne, afin de désenvaser l’ouvrage ».

L’objectif affiché était alors d’augmenter la capacité de stockage du barrage « d’environ 1 million de m3 actuellement à 4 millions de m3 ».

Paiement des agriculteurs pour services écologiques

Selon l’hydrologue Boualem Remini, en Algérie, l’envasement des barrages constitue un sérieux problème qui vient s’ajouter à deux autres plaies qui menacent ces édifices : les fuites et l’évaporation.

La manifestation des agriculteurs de Mohammedia illustre l’acuité du problème. Au-delà des opérations de prévention tel le reboisement, on peut s’interroger sur la persistance du labour et de la présence de chèvres et de moutons à proximité des barrages.

La réduction du pâturage permettrait un rapide retour de la couverture végétale protégeant le sol de l’érosion. La masse salariale de gardes champêtres assermentés à recruter pour surveiller les berges des barrages est à comparer à celle correspondant aux opérations de désenvasement.

Des opérations de protection des terrains en amont  des barrages impliquent cependant de tenir compte de l’éventuel manque à gagner des populations rurales.

À l’étranger, les paiements pour services environnementaux (PSE) en agriculture rémunèrent les agriculteurs engagés dans des actions qui contribuent à restaurer ou maintenir des écosystèmes, dont la société tire des bénéfices.

En Algérie, le Haut-commissariat au développement de la steppe (HCDS) possède un réel savoir-faire en la matière. En témoigne le cas des zones steppiques où le HCDS a réussi à faire accepter le principe des « mahmiyates », ces parcours dégradés et durant 3 à 4 ans surveillés par des gardiens pour permettre la régénération naturelle de la végétation puis reloués aux éleveurs.

Sur les bassins versants du barrage de Fergoug comme sur ceux des autres barrages d’Algérie se joue le sort de l’approvisionnement alimentaire et en eau des populations.

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