Économie

Algérie : comment retenir l’eau des pluies ?

Avec le retour de la pluie et de la neige en Algérie, les oueds sont en crue. Disparus les cours d’eau à sec et leur lit de galets. Mais comment conserver toute cette eau dont une partie se déverse dans la Méditerranée ? Une question qui taraude les experts locaux dont l’hydrogéologue Malek Abdessalem.

Des oueds en crue, mais le compte n’y est pas

Sur les réseaux sociaux, Malek Abdessalem, le directeur du laboratoire des eaux de l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou publie régulièrement un décompte méticuleux des précipitations : « Du 18 au 27 Janvier 2023 beaucoup d’eau de pluie et de neige, à Médéa : 160 mm, Tizi-Ouzou : 150 mm, Dellys : 107 mm, Miliana : 103 mm, Alger : 101 mm. »

Il confie à TSA que dans la wilaya de Tizi-Ouzou, « le barrage de Taksebt a gagné 2,5 m et 2,5 à 3 millions de m3. Le Sebaou et l’oued El Harrach coulent bien. » Il note pour le Sébaou : « 2 millions de m3/jour relevés au Pont de Bougie » et dit attendre « la fonte de la neige ». Mais, il nous confie : « Le compte n’y est pas. »

Quant au directeur de l’Unité d’Inspection et d’Intervention des Barrages de la Région de l’Est, Abdelaziz Boulechfar, il indique que, fin janvier, le remplissage des 34 barrages de l’Est approchait les 50%.

Nos oueds s’écoulent trop vite vers la mer !

L’hydrogéologue alerte cependant sur l’utilisation insuffisante des eaux de surface en Algérie. En 2022, il confiait à El Watan : « Nos oueds s’écoulent trop vite vers la mer ! ».

Il se base sur des mesures recueillies au niveau de la station du Sébaou, qui existe depuis les années 1940 : «Des quantités astronomiques d’eau finissent en mer sans être captées et sans profiter ni à la nature ni à l’agriculture comme les 250 à 300 millions de mètres cubes de novembre 2021 au 20 mars 2022 à Takdemt, à l’embouchure du Sébaou, près de Dellys.»

Déjà en 2021, lors d’un précédent entretien à El Watan, il indiquait que : « Le barrage de Taksebt reçoit les eaux de l’Aïssi, mais certaines années, ce qui n’est pas suffisant. En contrebas, à 5 ou 6 kilomètres, coule l’un des plus grands fleuves d’Algérie, le Sebaou, qui charrie des centaines de millions de mètres cubes ».

Freiner l’écoulement des eaux vers la Méditerranée

Pour freiner l’écoulement des eaux des oueds algériens vers la Méditerranée, cet observateur averti n’en démord pas : « On peut récupérer une partie des volumes qui rejoignent la mer pendant la saison des pluies, freiner la course des eaux vers la mer en les captant et stockant dans les oueds et par dérivation et pompage pour alimentation des nappes souterraines et vers des barrages limitrophes. ».

Il suggère encore de « favoriser les prises en oued par les agriculteurs pour l’irrigation ». Très tôt, il a émis l’idée de réaliser des ouvrages de transfert d’eau vers le barrage de Taksebt « de telle sorte à le garder tout le temps plein et ne pas attendre qu’il se vide. Sa station de traitement pourra fonctionner à plein régime et être rentabilisée. Elle ne tourne qu’à 50% (300 000 m3/j contre 600 000 m3/j de capacité). »

Des big-bag pour édifier des digues

En mars dernier, Malek Abdesselam confiait au quotidien El Watan qu’il était également possible d’édifier des digues avec très peu de moyens : empilement de gabions, palplanches, poutres H, batardeaux en bois ou dalles et même des sacs de type Big Bag remplis de tout-venant d’oued.

Des digues perméables laissant passer le trop plein d’eau. L’hydrogéologue y voit plusieurs avantages : « augmenter la réserve d’eau de surface, orienter les écoulements, favoriser et provoquer l’infiltration des eaux, relever le niveau des nappes, rectifier le profil du cours d’eau, protéger les berges, piéger les sédiments et agrégats, créer des zones humides. »

Des digues qui : « contribuent à l’amélioration de la recharge de la nappe souterraine et relèveront le niveau piézométrique des eaux des champs captant », ajoute-t-il.

Des solutions pour les Zibans et la Mitidja

Ces digues correspondent aux techniques anciennes utilisées depuis des siècles à Ghardaïa avec la construction de « hbass » dans le lit des oueds et des puits de recharge de nappe.

Dans la région des Zibans, l’ingénieur Khomri Zine-Eddine propose de retenir l’eau de pluie provenant du versant sud des Aurès. Il serait possible de faire remonter la nappe de 5 mètres avec la construction de diguettes et de 20 mètres en cas d’utilisation de bassins d’infiltration.

De son côté, Lagha-Bouzid Souad de l’Institut de Génie Civil de l’université de Bab-Ezzouar indique que la construction d’une dizaine de bassins d’infiltration parallèlement à l’oued Chiffa permettrait de recharger la nappe de la Mitidja.

Transfert d’eau vers Taksebt, gestation du projet

Aujourd’hui, le transfert des eaux depuis le Sébaou vers le barrage de Taksebt est devenu une réalité. Un barrage important qui alimente les wilayas de Tizi-Ouzou, Boumerdès et Alger.

Lorsqu’en août 2021, lors d’un entretien à El Watan la question de la paternité de ce projet est posée à l’hydrogéologue, il répond modestement : « Je ne suis pas le seul concepteur du projet. C’est l’aboutissement de constats et de réflexions avec nos amis de la SEAAL, DRE, ANBT, ADE, BET et d’autres universitaires et même des remarques d’amis. »

L’idée est née d’une compilation des mesures récoltées par l’ANRH au niveau des stations sur les oueds Aissi et Sébaou. Il est vite apparu que « les débits importants transitent à hauteur de Sikh Oumeddour à la confluence de ces deux importants cours d’eau, à quelques kilomètres du barrage de Taksebt. »

Il est vite apparu aussi que même sur une année déficitaire, « l’on pouvait transférer 35 à 45 millions de m3 d’eau au printemps 2021, par pompage de l’oued Sébaou vers Taksebt. »

Malek Abdessalem poursuit aussitôt : « Il a été proposé de réaliser une simple digue en travers de l’oued pour dériver l’eau vers des bassins à travers un canal et 6 km de conduites. » Une équipe inspecte le terrain et alors, surprise : « Le trajet a été reconnu, sans obstacles, ni opposition, ni traversées de route ou autres conduites. »

Cosider à l’oeuvre

C’est l’entreprise publique Cosider qui sera mandatée pour exécuter les travaux. Une entreprise qui « a réalisé le projet en moins d’un mois, qu’il convient de féliciter, avec tous les acteurs du secteur de l’eau qui ont réussi cet exploit », ajoute-t-il.

Avec la crue du Sébaou, le transfert des eaux de ce oued vers le barrage Taksebt a repris, avec un débit de 90 000 m3/jour, a annoncé fin janvier le wali de Tizi-Ouzou qui, lors d’une visite de chantier, a procédé à cette mise en œuvre saisonnière.

L’opération est d’autant plus importante que sur une capacité de 180 millions de m3, le barrage « enregistre, actuellement, un taux de remplissage de seulement 16%, soit 28 millions de m3 d’eau », a indiqué le wali de Tizi-Ouzou.

Une situation inquiétante, selon Malek Abdeslam : « Le barrage Taksebt n’a jamais connu une telle baisse durant un mois de janvier. » La dernière tranche du projet, d’une capacité supplémentaire de 180.000 m3 devrait être livrée en avril prochain, a indiqué le wali qui a parlé d’une des priorités de l’année en cours.

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