Économie

Algérie : des barons de l’importation dans le collimateur

Alors que l’Algérie a entrepris de rationaliser ses importations, des résistances se font toujours sentir sur le terrain.

Des responsables de l’Etat le disent ouvertement et accusent les barons de l’importation d’être derrière les perturbations que connaît le marché national, des pénuries récurrentes aux fortes hausses des produits de consommation.

L’équation se pose comme un dilemme au gouvernement algérien : la régulation et la rationalisation des importations pour mettre un terme aux abus et aux fuites des devises s’accompagnent d’une inflation et de pénuries qui menacent la stabilité sociale.

Samedi, le ministre du Commerce, Tayeb Zitouni, a laissé entendre devant la presse que les hausses des prix en cours sont le fait d’une sorte de chantage exercé par les barons de l’importation pour forcer la main au gouvernement et l’amener à abandonner l’orientation suivie jusque-là.

Par la faute de la surfacturation, les importations algériennes ont atteint plus de 60 milliards de dollars il y a quelques années.

La nouvelle stratégie du pays vise à faire d’une pierre, plusieurs coups : préserver les réserves de change du pays, lutter contre les surfacturations et autres abus et encourager la production nationale en n’autorisant à l’importation que les marchandises inexistantes sur le marché local ou produites en quantités insuffisantes.

La mise en œuvre de restrictions sur les importations (interdiction de certains produits et définition de quotas pour d’autres) a fait baisser immédiatement la facture globale des importations de biens (38 milliards de dollars et un excédent commercial de 18 milliards de dollars en 2022).

Concomitamment avec les mesures d’encouragement de l’investissement productif et des exportations décidées par les pouvoirs publics, les exportations hors hydrocarbures ont atteint des chiffres jamais vus, jusqu’à 7 milliards de dollars en 2022.

La stratégie est inattaquable si, sur le terrain, le pays n’a pas connu de graves pénuries, y compris d’intrants industriels et agricoles, et une inflation de près de 10% qui n’a épargné que les produits au prix régulé et subventionné.

Deux parties sont pointées du doigt : les importateurs gênés par les restrictions et les producteurs qui ont mis à profit la mesure protectionniste que constitue la rationalisation des importations pour augmenter les prix à leur guise.

En février dernier, le président de la République a haussé le ton en Conseil des ministres contre l’administration qui a confondu rationalisation et blocage des importations. Quelques semaines plus tard, à la mi-mars, le ministre du commerce Kamel Rezig est remplacé.

Monopole et hausse des prix : l’exemple de la banane et de la pomme

Son successeur évoque une autre contrainte : l’action des nostalgiques de la période de l’importation totalement débridée.

Tayeb Zitouni a clairement indiqué que ceux qui ont vu leurs intérêts menacés font tout pour obliger le gouvernement à ouvrir de nouveau la voie à l’importation sans conditions.

Qui sont-ils, où sont-ils tapis et de quels relais disposent-ils pour peser jusque sur le fonctionnement du marché interne et les prix.  Le ministre ne le dit pas et il lui appartient et à tout le gouvernement de les débusquer et d’annihiler leur action  par la force de la loi et les moyens dont il dispose.

Tayeb Zitouni s’est indigné aussi de l’attitude de certains producteurs locaux qui n’ont pas hésité à augmenter les prix en flèche après la baisse des quantités importées, au nom de la loi de l’offre et de la demande. « Ils ont demandé à être protégés et quand nous l’avons fait, ils ont augmenté les prix », a dénoncé le ministre du Commerce.

C’est le cas de nombreux produits en Algérie. La pomme locale est devenue inaccessible depuis l’arrêt de l’importation de ce produit, atteignant parfois les 1200 dinars le kilogramme.

Pour d’autres produits, ce sont les quelques importateurs « chanceux », ceux qui ont obtenu des licences et qui en ont profité pour s’en mettre plein les poches.

« Une mafia de l’importation du maïs »

C’est le cas particulièrement de la banane dont le prix a plusieurs fois dépassé les 600 dinars, voire plus. Il s’agit pourtant d’un produit boursier dont le prix à la source est connu de tous.

Les importateurs qui vendent la banane « quatre fois son prix par rapport à d’autres pays », pour reprendre l’estimation du ministre du Commerce, ne peuvent avancer aucune contrainte propre à l’Algérie pour justifier les prix indécents qu’ils pratiquent.

Le gouvernement qui délivre des licences aux importateurs, soutient financièrement les agriculteurs et les industriels et les protège en leur évitant la concurrence du produit étranger, a le droit de leur demander des comptes et de les contraindre à ne pas détourner la politique de tout un pays à leur profit exclusif.

Lors de sa rencontre avec la presse mercredi 3 mai, le président Abdelmadjid Tebboune a cité le cas du maïs produit dans le sud, mais qui ne trouve pas preneur, alors que l’Algérie importe ce produit de l’étranger.

« C’est une honte pour l’Algérie d’importer du maïs », a-t-il déploré, en citant des agriculteurs qui ont cultivé du maïs à Adrar, mais leur produit n’a pas trouvé preneur.

« C’est pour importer. Ils leur ont dit si vous voulez qu’on prenne votre maïs, il faut le ramener à Bougtob sur plus de 1.000 km. Il y avait une mafia de l’importation du maïs », a accusé le chef de l’Etat.

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