Politique

Algérie – Espagne : la crise n’est pas finie

La mesure de gel du commerce entre l’Algérie et l’Espagne a été levée jeudi 28 juillet de la même manière avec laquelle elle a été instituée 50 jours plus tôt.

C’est-à-dire par une note aux banques commerciales de l’Association des banques et établissements financiers (ABEF), sans autre communication officielle.

La suspension des domiciliations bancaires pour les transactions de biens et services de et vers l’Espagne, à l’exception du gaz, a suivi celle du traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération entre les deux pays, annoncée par Alger le 8 juin.

Soit le jour même d’un discours du président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, dans lequel il a encore défendu son appui au plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental.

Cette nouvelle position, révélée le 18 mars par le palais royal marocain, était considérée comme un revirement historique de l’Espagne sur la question.

La suspension du traité d’amitié était directement liée à la persistance du gouvernement espagnol à « justifier » ce revirement.

« Les autorités espagnoles se sont engagées dans une campagne tendant à justifier la position qu’elles ont adoptée sur le Sahara Occidental en violation de leurs obligations juridique, morale et politique de puissance administrante du territoire qui pèsent sur le Royaume d’Espagne jusqu’à ce que la décolonisation du Sahara Occidental soit déclarée accomplie par les Nations Unies », avait indiqué le communiqué de la présidence de la République annonçant la suspension du traité vieux de 20 ans.

Le jour même, la note de l’ABEF sur le gel des domiciliations bancaires des importations et exportations de et vers l’Espagne est parvenue aux banques.

La levée du gel du commerce est intervenue alors que le gouvernement espagnol n’a pas montré le moindre signe permettant d’entrevoir un recul sur son revirement.

Cela ne signifie néanmoins ni un fléchissement de l’Algérie ni la fin de la crise entre les deux pays. Les mesures d’ordre commercial et économique ne sont qu’une facette de la réaction d’Alger.

Le poste d’ambassadeur à Madrid toujours vacant

La nomination, le 12 juillet, comme ambassadeur à Paris de Saïd Moussi, jusque-là en poste à Madrid, avait été interprétée comme un signe que les autorités algériennes ont décidé de laisser vacante pour longtemps encore leur représentation diplomatique en Espagne.

Des sources diplomatiques algériennes avaient même assuré au journal espagnol El Confidencial que les relations entre les deux pays resteront brouillées tant que Pedro Sanchez et son ministre des Affaires étrangères José Manuel Albares resteront en poste.

Ces sources avaient indiqué que le président algérien Abdelmadjid Tebboune « n’est pas disposé à se réconcilier avec l’Espagne alors que Sanchez est à la tête du gouvernement et José Manuel Albares est le chef de la diplomatie espagnole ».

Fin avril dernier, Amar Belani, Envoyé spécial chargé du Sahara occidental et des pays du Maghreb au ministère algérien des Affaires étrangères, avait déjà prévenu que la crise avec l’Espagne n’était pas un nuage d’automne, signifiant, en réponse à Pedro Sanchez qui avait appelé au retour de l’ambassadeur d’Algérie à Madrid, que ceux qui parlent d’une « colère passagère de l’Algérie, ne sont pas en phase avec la réalité ».

Le vrai début de la fin de la crise sera donc la nomination d’un ambassadeur à Madrid, précédée de signes annonciateurs d’un retour de l’Espagne à sa neutralité vis-à-vis du dossier du Sahara occidental.

Cela risque d’attendre les élections et un éventuel changement de gouvernement à Madrid, sachant que toute la classe politique espagnole, hormis le PSOE (parti socialiste, au pouvoir), ne soutient pas le gouvernement dans sa démarche vis-à-vis de l’Algérie et de la question sahraouie.

Quant à la levée du gel des transactions commerciales, elle procède sans doute d’autres considérations. L’Algérie ne pouvait pas tenir longtemps une telle suspension avec un pays membre de l’Union européenne avec laquelle elle est liée par un accord d’association.

Une décision pragmatique ?

Madrid a saisi Bruxelles, au nom justement du respect des clauses de l’accord d’association et, dès le 10 juin, le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, Josep Borrell, et le vice-président de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis, ont apporté leur soutien à l’Espagne, indiquant dans une déclaration commune que « l’UE est prête à s’opposer à tout type de mesures coercitives appliquées à un État membre de l’Union européenne ».

« L’Algérie rectifie et autorise à nouveau le commerce avec l’Espagne auquel elle avait mis son veto il y a 50 jours. La Commission européenne est probablement intervenue pour faire respecter l’accord Algérie-UE et l’empêcher de discriminer un État membre. Pourtant, la crise Alger-Madrid persiste », écrit le journaliste d’El Confidencial, Ignacio Cembrero, spécialiste des pays du Maghreb.

Sans même cette probable intervention de Bruxelles que suggère le journaliste espagnol, l’Algérie est très soucieuse du respect de ses engagements internationaux, comme elle l’a montré depuis le début de la crise.

Qu’en sera-t-il dans les faits ?

Malgré un contexte international qui fait du gaz un levier très efficace, les autorités algériennes ont toujours réitéré qu’elles respecteront leurs obligations contractuelles concernant la livraison du gaz à l’Espagne.

Et c’est ce qui a été fait. La levée de la suspension est aussi probablement dictée par les répercussions de l’arrêt des transactions sur l’économie algérienne elle-même.

Il est certain que les entreprises espagnoles ont été très affectées par l’arrêt brusque des exportations vers l’Algérie, qui représentent de 2 à 3 milliards de dollars par an, mais il n’en reste pas moins que le tissu économique algérien est aussi impacté, étant donné que beaucoup d’entreprises importent des intrants d’Espagne.

Ce sont là quelques éléments pragmatiques qui pourraient expliquer la décision d’Alger de lever la mesure de suspension du commerce avec l’Espagne.

Reste à savoir, si dans les faits, les importateurs algériens vont reprendre normalement leurs relations avec les fournisseurs d’un pays avec lequel des ressorts se sont cassés et dans un contexte de grave crise politique et diplomatique entre les deux pays, qui elle demeure entière.

 

 

 

 

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