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Anglais : l’Algérie est-elle en train de brûler les étapes ?

Anglais : l’Algérie est-elle en train de brûler les étapes ?

L’Algérie est-elle en train de brûler les étapes dans sa quête d’introduire à plus large échelle la langue anglaise dans les institutions, à l’école, à l’université, bref dans la vie des Algériens ?

On pourrait être tenté de le penser avec cette succession de décisions et des écarts très rapprochés entre leur annonce et leur mise en application effective.

L’Algérie n’a jamais été un pays anglophone. La longue colonisation française (132 ans) a fait que le français soit la langue étrangère la plus répandue et la mieux maîtrisée dans le pays après l’arabe et le berbère.

La place de la langue de Molière a commencé à reculer ces dernières décennies, avant que son déclin ne se voit accéléré par une série de décisions officielles tendant à la remplacer par la langue anglaise, au nom de l’ouverture sur le monde et pour un meilleur accès à la connaissance universelle en matières de sciences et de technologies notamment.

« Le français est un butin de guerre mais l’anglais est la langue de la science », a expliqué en juillet 2022 le président de la République Abdelmadjid Tebboune. Ce jour-là, le chef de l’État a annoncé que la langue de Shakespeare sera introduite dans l’enseignement primaire dès la rentrée à venir. Ce qui fut fait.

Jusque-là, l’anglais était enseigné seulement à partir de la troisième année du cycle moyen, en tant que deuxième langue étrangère après le français, enseigné, lui, dès la quatrième année primaire.

Recrutement massif et formation accélérée, en à peine deux mois, l’administration a fait ce qu’il fallait pour concrétiser la décision présidentielle. Depuis octobre 2022, les élèves algériens du primaire apprennent simultanément quatre langues : l’arabe, tamazight, le français et l’anglais.

On ne sait toujours pas ce qu’en pensent les pédagogues car le véritable débat de spécialistes qui devait précéder et suivre une telle décision n’a jamais réellement eu lieu, du moins pas publiquement.

Les seuls échanges auxquels on a assisté ce sont des tiraillements idéologiques sur les réseaux sociaux entre ceux qui ne veulent plus du français, l’un des « derniers vestiges du colonialisme », et ceux qui souhaitent préserver l’usage d’une langue que l’écrivain Kateb Yacine qualifiait de « butin de guerre » pour l’Algérie.

Anglais à l’université algérienne : une décision précipitée?

Le cheminement normal du processus aurait voulu que la dispense de cours de différentes spécialités en anglais à l’université commence dans une dizaine d’années, soit le temps nécessaire pour que la première promotion qui a commencé à apprendre l’anglais au primaire arrive dans les campus. Personne n’aurait trouvé à redire.

Mais ce n’est pas le chemin que les autorités algériennes ont choisi. Au début de ce mois de juillet 2023, le ministère de l’Enseignement supérieur a décidé que l’anglais à l’université, c’est pour la prochaine rentrée. Le département a instruit officiellement les recteurs de former des groupes pédagogiques qui prépareront le terrain pour l’adoption de l’anglais comme langue d’enseignement.

Le 15 juillet, une autre décision tombe : les nouveaux bacheliers seront formés pour améliorer leurs aptitudes en anglais pendant deux mois. Le ministère n’a rien précisé des modalités de cette formation improvisée ni sur les moyens qui seront déployés pour l’assurer.

L’évaluation du processus dans sa globalité ne se fera que dans quelques années, mais déjà, le ton est au scepticisme à cause des délais très rapprochés et l’absence de tout échéancier étudié et raisonnable.

Il faut préciser qu’il ne s’agit pas d’inculquer aux futurs étudiants les rudiments de la langue anglaise mais de leur apprendre, en deux mois, les éléments nécessaires qui leur permettront de suivre des cours magistraux de médecine ou de technologie dans cette langue.

L’ambition semble démesurée et le pari risqué. Les spécialistes sont formels : pour apprendre et maîtriser l’anglais académique, il faut au moins deux ans d’apprentissage dans un pays comme l’Algérie, à raison d’au moins deux séances par semaine.

« Il s’agit d’apprendre l’anglais académique, cela ne peut pas se faire en quelques mois. Il faut au minimum une année de formation dans un environnement favorable c’est-à-dire où l’anglais est pratiqué dans la rue, les commerces, etc. Dans un pays comme l’Algérie où l’anglais n’est pas pratiqué à l’extérieur ou dans les administrations, il faut au minimum deux années de formation », affirme un enseignant d’anglais.

Mais comme à pareille période de l’année passée, l’administration trouvera les ressources pour mettre en application les injonctions de la tutelle, mais pour quels résultats ?

L’interrogation est légitime quand on sait les limites de la marche forcée de l’arabisation engagée dans les années 1970. Près d’un demi-siècle après, l’école algérienne n’a pas hissé la qualité de son enseignement au niveau escompté. Surtout, l’arabisation des filières techniques et scientifiques n’a pas dépassé le seuil du lycée.

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