Économie

Automobile, dinar… : entretien avec l’économiste Brahim Guendouzi

Brahim Guendouzi est professeur d’économie à l’université Mouloud-Mammeri de Tizi-Ouzou (UMMTO). Dans cet entretien, il revient sur la baisse du dinar, le plan d’action du gouvernement, le durcissement des conditions d’importation, le marché automobile…

Le dinar algérien poursuit sa dégringolade face au dollar américain. Mercredi 8 septembre, il a enregistré un 3e record à la baisse en un mois et demi. Dans quel sens pourrait aller cette tendance et quelles sont ses répercussions sur l’économie du pays ?

La valeur du dinar reflète l’état dans lequel se trouve l’économie du pays qui supporte notamment le poids de deux contraignants déficits en l’occurrence budgétaire et la balance des paiements.

Aussi, le taux de change est de fait une variable d’ajustement par rapport à ces deux déficits afin de préserver un tant soit peu les équilibres macroéconomiques.

En plus, la Banque d’Algérie procède régulièrement à des corrections des cours du dinar par rapport aux fluctuations que connaissent les deux principales devises le dollar américain et l’euro.

Ces dernières semaines la monnaie américaine s’est appréciée par rapport à la monnaie européenne, ce qui justifie également son niveau élevé par rapport au dinar algérien.

L’heure est peut-être venue de faire le point sur tout ce qui touche à la politique de change de l’Algérie.

Les dysfonctionnements constatés, la fuite des capitaux et le marché informel des devises, militent pour une nouvelle approche basée sur la convertibilité entière du dinar dans un délai de moyen terme, et s’inscrire dans une logique de rupture avec l’économie rentière.

Selon des observateurs, le plan d’action du gouvernement Aïmene Benabderrahmane présente quasiment les mêmes axes que les précédents. Que peut apporter ce nouveau plan et quels sont les mécanismes encore à la disposition du gouvernement pour mener à bien ses chantiers ?

 Le programme de l’Exécutif actuel répond aux  principaux défis qu’impose la conjoncture économique actuelle avec des retombées liées à la  pandémie du covid-19. Concrètement, il s’agit d’actions visant à sortir de la récession économique, d’atténuer les déficits interne (budgétaire) et externe (balance des paiements), la sauvegarde des emplois, la gouvernance des entreprises publiques et la gestion des capitaux marchands de l’État, la relance de l’investissement productif et la réforme du système bancaire et financier.

Les solutions préconisées ne vont pas évidemment apporter des bouleversements dans l’organisation économique et sociale, tant la rupture avec l’économie rentière n’est pas encore amorcée.

Les nouveaux gisements identifiés de la croissance économique (agriculture, énergies renouvelables, pétrochimie, industrie pharmaceutique) en plus des hydrocarbures, vont nécessairement exiger plus de temps pour apporter de la valeur ajoutée indispensable à la densification du tissu économique et à la diversification.

«  Le marché de l’automobile en Algérie est à sec »

Le gouvernement a un peu plus accentué les restrictions sur les importations. Mais les décisions prises ont soulevé des critiques. Qu’en pensez-vous ?

Il y a aujourd’hui une volonté de la part des pouvoirs publics de compresser le niveau des importations afin de réduire le déficit de la balance commerciale et préserver un tant soit peu les réserves de change,  en cette période de récession économique et surtout d’incertitude face à la grave pandémie qui dure déjà depuis une année et dont l’issue reste encore incertaine.

L’Algérie ayant adhéré à trois zones de libre-échange (Accord d’association avec l’Union Européenne, la GZALE et la ZLECAF), subit le démantèlement tarifaire et donc ne peut plus utiliser le tarif douanier pour réguler ses achats de l’extérieur.

D’où le recours à des mesures non-tarifaires. C’est à ce titre que le décret exécutif n° 21-94 du 09/03/2021 est promulgué fixant les modalités d’exercice des activités d’importation de matières premières, produits et marchandises destinés à la revente en l’état, imposant des codes d’activités homogènes relevant d’un seul sous-groupe.

Aussi, il est demandé aux importateurs de se soumettre aux seules activités prévues sur la base d’extraits de registre du commerce électronique portant des codes d’activités homogènes relevant d’un seul sous-groupe des groupes d’activités d’importation inclus dans la nomenclature des activités économiques soumises à inscription au registre du commerce.

Aussi, le ministère des Finances menace de suspendre les domiciliations bancaires, qui équivalent à des autorisations de change, au 31 octobre 2021 pour les opérateurs qui ne se sont pas mis en règle avec le décret exécutif.

Toujours est-il que c’est un effet d’éviction qui est recherché par rapport au nombre élevé d’importateurs de marchandises pour la revente en l’état et surtout  pour arriver à une plus grande spécialisation des activités d’importation ainsi qu’un meilleur contrôle.

Les concessionnaires automobiles dont l’activité est suspendue et les concessionnaires d’engins roulants, ont par exemple tiré la sonnette d’alarme. Comment analysez-vous ces prises de décisions concernant le marché automobile ? 

L’arrêt du montage automobile selon le dispositif CKD /SKD ainsi que le retard mis dans le programme d’importation de véhicules neufs décidé pour 2021, se répercutent surtout sur les citoyens qui ne peuvent pas acquérir de voitures neuves pour leurs besoins ainsi que sur les entreprises dans le cadre de leurs activités. Depuis 2019, le marché de l’automobile en Algérie est à sec.

Le marché de l’occasion seul est relativement fonctionnel mais à des prix exorbitants. Il y a actuellement un cafouillage en matière de prise de décision concernant l’automobile. On n’arrive pas à trancher sur les trois options existantes dont  chacune présente certes des inconvénients : l’importation de véhicules neufs par l’intermédiaire des concessionnaires,  l’importation des véhicules de moins de trois ans d’âge par les particuliers et enfin  se doter d’une industrie automobile et rompre avec le processus de montage de voitures qui a été expérimenté et a montré ses limites.

Les entreprises qui ont investi dans le créneau automobile se trouvent actuellement pénalisées. Redonner confiance aux investisseurs c’est surtout éviter ce genre de situation qui pousse le secteur privé à plus de réserves envers l’acte d’investir.

L’objectif d’exporter 5 milliards de dollars de produits hors hydrocarbures en 2021 est-il réaliste compte tenu des capacités intrinsèques du pays à vendre ses produits, et aussi d’une législation sur les exportations de la Banque d’Algérie, jugée rigide par les exportateurs ?

Ce n’est pas tant le montant de 5 milliards de dollars à pouvoir réaliser ou non qui importe, mais c’est beaucoup plus le nombre d’entreprises qui se lancent à l’exportation, les produits offerts sur les marchés extérieurs et surtout la répétitivité des opérations export dans le temps car cela renseignera de la présence durable des produits algériens à l’international.

La politique de promotion des exportations hors hydrocarbures reste à parfaire pour pouvoir hisser le volume des échanges avec l’extérieur à un niveau appréciable. Sur le plan microéconomique, les entreprises doivent se réorganiser par rapport au nouvel objectif qui est celui de l’exportation.

En matière de réglementation des changes, il existe un contrôle des changes qui est exercé, puisque le dinar est uniquement convertible sur les transactions courantes.

Le règlement n°07-01 du 03 février 2007 relatif aux règles applicables aux transactions courantes avec l’étranger et aux comptes en devises, constitue la référence régissant les transferts de devises de et vers l’étranger.

Une modification de ce règlement s’est opérée le 06 mars 2021  autorisant les exportateurs à disposer de la totalité de leurs recettes d’exportations logées dans les comptes devises, pour les besoins de leur activité et dispensant de l’obligation des formalités de domiciliation bancaire les exportations de prestations des services numériques ainsi que celles portant sur les prestations de services des start-up et des professionnels non commerçants.

Les exportateurs considèrent cette mesure en leur faveur insuffisante car le non rapatriement des devises de l’étranger suite à des incidents de paiements avec leurs clientèles étrangères peut constituer une infraction de change et donc relevant de l’ordonnance n°96-22 du 9 juillet 1996 relative à la répression de l’infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l’étranger. Dans ce cas, la sanction peut être pénale. Il nous semble que cette ordonnance est inscrite à l’ordre du jour pour qu’elle soit modifiée, mais dans quel sens ?

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