Économie

Autosuffisance en blé dur : un vaste défi pour l’Algérie

L’Algérie ambitionne d’atteindre l’autosuffisance en blé dur, ce produit largement consommé sous forme de semoule, de couscous et de pâtes alimentaires.

L’objectif a été réitéré par le Premier ministre Aïmene Benabderrahmane à l’occasion du forum sur la production de blé dur en Algérie organisé par le Conseil du renouveau économique algérien (CREA), jeudi à Alger.

Des réserves de productivité

Selon les années, 90% des besoins de l’Algérie en blé dur sont couverts par la production locale. Le reste est importé mais sur le marché mondial la disponibilité en blé dur est faible, en témoignent les prix.

A la mi-mars, le blé tendre valait 260 euros la tonne alors que le blé dur s’affichait à 430 euros. L’importation de 2 quintaux de blé dur équivaut à celle de 3 quintaux de blé tendre.

Ces dernières années, d’énormes efforts ont été réalisés par les pouvoirs publics afin de soutenir la production nationale de blé dur : relèvement du prix à 6.000 DA le quintal, subventions pour l’achat de matériel, d’engrais et de semences.

De son côté, l’Institut Technique des Grandes Cultures (ITGC) a sélectionné des variétés à haut rendement dont les célèbres Boussalem ou Oued Bared.

Des efforts qui ont permis en 2022 une production de céréales de 41 millions de quintaux dont un million de quintaux pour Adrar et d’un demi-million pour Menéa. Si ces quantités ne sont pas négligeables, l’essentiel de la production est réalisé dans la région nord de l’Algérie.

Dans des régions à haut potentiel comme Constantine, Sétif ou Guelma avec le développement du désherbage, l’utilisation de fongicides et le respect de la rotation des cultures, les progrès sont tangibles et les rendements obtenus sont de 30 à 35 quintaux de blé dur par hectare.

Dans les zones céréalières marginales, les techniques sont plus rudimentaires. Il reste à trouver des solutions agronomiques pour venir à bout des semis tardifs, réduire le compactage des sols, mieux utiliser les engrais et lutter contre les mauvaises herbes.

A Batna, des techniciens s’insurgent contre la pratique encore assez répandue de l’emploi d’épandeurs centrifuges d’engrais pour semer le blé. Un emploi proscrit qui se traduit par la perte de semence.

Mais comment intensifier la culture du blé dur en Algérie alors que l’élevage du mouton rapporte plus ? Pourtant, dans les mêmes conditions climatiques, sans même irriguer, les céréaliers australiens arrivent à produire plus.

Blé et pâtes alimentaires

La faible disponibilité du blé dur sur le marché mondial s’explique par la préférence de cette espèce pour le climat méditerranéen. Seul ce type de terroir permet d’obtenir la qualité nécessaire à la confection de pâtes alimentaires possédant une bonne tenue à la cuisson.

Un caractère également lié aux variétés de blé et à la présence de protéines dans le grain, notamment les gliadines gamma 45. Un type de protéines très présentes au niveau des variétés algériennes.

Mais pour obtenir un taux convenable d’extraction en semoule, les grains doivent avoir un aspect vitreux. Lorsque ce n’est pas le cas et que les grains sont mitadinés, ils fournissent plus de farine que de semoule.

Il faut alors 1,3 à 1,5 kilo de blé pour produire un kilo de pâtes, ce qui renchérit le coût de fabrication. C’est pourquoi les semouliers recherchent des grains avec une belle vitrosité. Le mitadinage dépend de la variété utilisée, du terroir et des apports d’engrais azotés.

Du blé imposé aux transformateurs

En 2010 à Annaba, lors d’un colloque consacré au blé dur, un des transformateurs confiait à Maghreb Emergent : « Il nous est arrivé de recevoir du blé mitadiné à 90 % et de ne pas pouvoir le refuser ». Il  a ajouté qu’« ailleurs avec 25 % de mitadinage, le blé est refusé ».

Situation confirmée par les travaux d’universitaires pour qui certaines années, le blé dur cultivé dans les zones littorales et sub-littorales présente des taux de mitadinage de 80 %. A l’exception des variétés Bidi 17 et Oued Zenati qui n’excédent pas les 5 %.

Ces exigences technologiques sont telles que chaque année en France, le syndicat des fabricants de pâtes alimentaires et celui de la semoulerie industrielle adressent aux agriculteurs une liste des variétés recommandées. En février 2023, cette liste ne comportait que 9 variétés.

En Algérie, la pratique de ce type d’analyses à la livraison des récoltes est balbutiante. Les transformateurs (semouliers et pastiers) ont donc un rôle capital à jouer dans la consolidation de la filière et dans la promotion de produits adaptés aux besoins spécifiques de cette industrie.

Blé dur et engrais azotés

Le groupe Benamor a été le premier à s’engager dans une démarche de qualité en Algérie. Il a développé une collaboration étroite avec les producteurs de blé dur sous la forme d’un réseau qualité dont l’animation a été confiée à Mme Sadli Fatiha.

Co-auteur d’une étude menée dès 1995 sur la qualité des blés, celle-ci a mis en évidence la sensibilité au mitadinage des variétés Mohammed Ben Bachir et Hedba mais de la bonne qualité en gluten des variétés locales.

Une qualité liée aux fameuses gliadines gamma 45 qui permettent « une bonne à très bonne tenue à la cuisson. » Sans toutefois qu’elles ne dépassent la variété Bidi 17 reconnue même à l’étranger pour ses qualités remarquables.

Ces travaux, menés au sein de l’université d’Annaba, ont amené une préconisation sans appel : « Les agriculteurs doivent être sensibilisés à l’effet de la fertilisation sur la qualité des blés durs. »

Alors que pour le blé tendre, les besoins en engrais azotés sont de 3 kg par quintal de grains produit, pour le blé dur ces besoins sont de 3,5 à 4,1 kg. Un ajustement des doses d’engrais qui nécessite de passer par des analyses de sol.

Le blé dur que recherchent les semouliers et pastiers se doit d’être conforme à un cahier des charges. Des exigences indispensables à la production de semoule et à la fabrication de pâtes et donc nécessaires pour le bon fonctionnement d’un secteur en plein essor.

Le secteur compte de nombreuses entreprises dont la Semoulerie Industrielle de la Mitidja (SIM), les Grands Moulin du Dahra, la Société de Pâtes Industrielles (Sopi), la Société de Semoulerie Minoterie l’Etoile (Sosémie) et bien d’autres. Un secteur dont le chiffre d’affaires était estimé à 1,5 milliard d’euros, équivalent en dinars, en 2009.

Blé dur, un produit complexe

Très tôt, le groupe Benamor a mis en relief la nécessaire concertation entre producteurs et transformateurs. En 2010, lors du colloque d’Annaba, les participants avaient pu visiter les moulins du groupe Benamor à El Fedjoudj (Guelma) et aborder les exigences de qualité des industriels.

Avant même d’aborder les questions de mitadinage et de gliadines, les techniciens du semoulier avaient expliqué aux visiteurs le risque d’usure prématurée des meules du moulin que peuvent occasionner les impuretés mêlées aux grains.

Reste la question du stockage. L’amélioration de la qualité du blé dur nécessite des analyses à l’entrée des silos ce qui suppose la multiplication de cellules de stockage permettant d’assurer la traçabilité de lots de qualité différente.

Vaste défi qui nécessitait bien un colloque national. Dans son allocution, le premier ministre a assuré les participants que leurs recommandations seraient suivies avec attention par les pouvoirs publics. Un atout pour la filière.

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