Société

Belkacem, étudiant algérien à l’École 42

Au cours de son déplacement en Algérie début décembre, le président français Emmanuel Macron a proposé au gouvernement la création d’ « une école pour la formation des jeunes en matière de numérique » sur le modèle de « l’École 42 » de Xavier Niel, patron de l’opérateur de télécoms Free. À Paris, nous avons rencontré un jeune Algérien de 29 ans qui étudie dans cette école.

Depuis un an, l’École 42 est devenue la maison de Belkacem Ait Slimani. Il passe désormais plus de temps dans les murs de la structure fondée par Xavier Niel en 2013 que dans son appartement. Au mois de novembre, le jeune homme totalise 18 heures de présence par jour dans les locaux, et une seule journée de repos.

Il le concède, mais timidement : il est « un peu fatigué ». Arrivé en France il y a sept ans, et après un parcours périlleux dans ses études, l’École 42 est une victoire pour Belkacem. « Les échecs nous permettent d’apprendre à rebondir », considère aujourd’hui, un brin philosophe, ce jeune homme à la silhouette élancée.

Enfant, Belkacem est un élève brillant « toujours premier en maths puis et en sciences ». Il passe ses jeunes années à Tizi Ouzou avec ses parents « qui veillent à sa réussite » et avec ses huit frères et sœurs. L’entrée au collège est plus compliquée. « J’ai commencé à dériver, à fumer, à penser à autre chose qu’aux études ».

Après un redoublement, il se ressaisit. Mais l’arrivée au lycée est tout aussi complexe : nouveau décrochage. Quand Belkacem rate son bac alors que ses amis l’obtiennent, c’est le déclic. Deux jours après avoir échoué à l’examen, Belkacem se plonge dans ses cours pendant les vacances scolaires. Sa motivation paye : l’année d’après, il obtient le précieux sésame avec 15 de moyenne et « fait partie des 100 meilleurs bacheliers d’Algérie ». Admis à l’école nationale d’informatique d’Alger, il quitte son « milieu rural » pour « un milieu urbain ». Mais là « il replonge », selon ses propres mots. Il s’ennuie, rêve d’ailleurs. De voyages.

Sa sœur installée aux États-Unis le pousse à la rejoindre. Lui ne jure que par la France ; le pays dans lequel son père a vécu toute sa jeunesse avant de revenir dans son Algérie natale pour se marier. En 2010, visa étudiant en poche, le voici à Paris. Il s’inscrit en première année de mathématique et d’informatique à l’université de Créteil, en banlieue parisienne. Mais il décroche. Encore une fois. Puis se détourne des études. « Je ressentais le besoin de faire ce que j’aime ». Avec un petit boulot en poche -livreur de pizzas le soir- qui lui permet de payer le loyer et la nourriture, il commence à « bidouiller » ses premiers sites web. Il tente même de lancer un site similaire à Facebook. « Sans succès »,  nous confie-t-il, une après-midi de décembre, dans le brouhaha de la cafétéria de l’école.

Quand le « bidouillage de sites web » devient plus sérieux -il réalise des sites pour des entreprises françaises et algériennes- Belkacem lâche les études. Il ne manque pas d’idées et envisage de créer une société en ingénierie informatique mais « faute d’équipe », il abandonne. Dans le même temps, il quitte complètement la fac. Sans diplôme. « Cette période est difficile », raconte Belkacem. Déprime totale. Belkacem songe à reprendre des études dans une école d’informatique parisienne mais les frais de scolarité y sont bien trop élevés.  En 2014, sa sœur, installée à Marseille, entend parler de cette fameuse école qui recrute les petits prodiges de l’informatique. Elle l’encourage à passer le concours. « J’ai pensé qu’il s’agissait d’une école réservée aux élites », raconte le jeune homme.

Il faut attendre quelques mois pour que Belkacem se décide. Par hasard, au travail, il entend des collègues de la pizzeria parler de cette école accessible sans diplôme, et gratuite. Le soir-même, à la maison, il passe des heures à se renseigner sur cette école. Puis s’inscrit. Il réussit les tests de présélection. À la journée d’information en février 2016 -obligatoire pour tous prétendants à l’École 42- le voilà séduit par le concept de cette école d’un nouveau genre. « Tout m’a plu : la vision de l’apprentissage défendue par l’école, le programme. À cet instant, j’ai enfin eu le sentiment de trouver un domaine par lequel je pouvais englober toutes les disciplines qui m’intéressaient ». Mais tout n’est pas gagné. Il doit réussir les épreuves de sélection. Dans le jargon de la maison 42, on appelle ça : « la Piscine » : un marathon d’un mois -y compris les week-end- avec énigmes de codage à la clé pour sélectionner les plus doués et vérifier leurs compétences en informatique. Belkacem jongle avec son boulot de livreur de pizzas et ces tests. « Je n’ai pas beaucoup dormi mais ça valait le coup ».

Depuis novembre 2016, Belkacem étudie dans les locaux d’une école de plus en plus regardée par les entreprises. Lui-même est déjà courtisé par « des grands groupes et des start-up » : en France, en Allemagne et même en Australie. Dans cette école sans professeurs, où les serviettes de bain sèchent sur les rampes des escaliers, et où les pauses se ponctuent de parties de jeux vidéos, les étudiants planchent pendant des heures sur des exercices en réseau. « Ici, on apprend à réfléchir, à penser, à anticiper toutes les difficultés comme celles des cyberattaques. On crée des outils de travail qui nous permettent de nous adapter à l’univers du numérique qui évolue extrêmement vite ». À la sortie, les diplômés peuvent prétendre à un panel de métiers larges : développeur, responsable de la sécurisation des données d’un système informatique, concepteur de jeux vidéos, de programmes… Et tant de métiers qui n’existent sans doute pas encore.

Quand on lui parle du projet d’une École 42 à Alger, l’étudiant trouve l’idée excellente. « Une vraie chance pour le pays. Un des meilleurs cadeaux que la France puisse faire à l’Algérie ». Mais il n’est pas dupe. « Pour qu’une école comme 42 serve à quelque chose, l’Algérie doit changer : sortir de ce système où la corruption et le favoritisme règnent. Y compris dans les écoles ». Puis « s’ouvrir à l’international », « développer le tourisme, ce qui permettra de créer des besoins dans le numérique », « développer le paiement électronique indispensable pour les start-up », détaille Belkacem. « Et tout ça, ce n’est pas l’ouverture d’une école 42 qui va le régler ». Passionné par l’intelligence artificielle, il se dit prêt à participer au changement de son pays. « Si demain, le gouvernement m’appelle pour bénéficier de mon expérience dans le numérique, je suis prêt ».

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