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Cadres musulmans qui quittent la France : témoignages poignants

Cadres musulmans qui quittent la France : témoignages poignants

C’est le sujet de l’heure en France qui découvre stupéfaite l’exode inverse de ses cadres musulmans alors qu’elle déploie des moyens colossaux pour lutter contre l’immigration notamment en provenance du Maghreb.

Las des stigmatisations et des discriminations notamment à l’emploi, beaucoup de cadres musulmans songent à s’expatrier, ou l’ont déjà fait.

Dans un contexte de montée de l’extrême-droite et de libération de la parole raciste, les musulmans sont parfois contraints au choix douloureux de tout quitter pour retourner vers leur pays d’origine comme l’Algérie ou d’autres destinations, comme les pays du Golfe, le Royaume-Uni, le Canada, La Suisse ou l’Allemagne…

Le phénomène n’est pas encore quantifié en France, mais selon les chercheurs Julien Talpin, Olivier Esteves, et Alice Picard qui viennent de publier un livre au titre évocateur « La France tu l’aimes mais tu la quittes », les départs se compteraient en milliers, « voire par dizaines de milliers ».

En attendant les politiques, les médias et les chercheurs français commencent à se pencher sur le phénomène qui fait perdre à la France ses meilleurs cadres musulmans dans un contexte mondial marqué par une compétition entre les pays développés comme le Canada et l’Allemagne pour attirer les compétences afin de répondre aux besoins de leurs économies.

L’occasion pour les langues de se délier. Beaucoup de musulmans qui ont en tête l’idée de changer de pays ou qui sont déjà ailleurs, témoignent, en gardant l’anonymat dans la plupart des cas pour des raisons évidentes.

Farid* était « bien installé » en France grâce à son statut de cadre commercial. Ce qui ne l’a pas empêché de s’exiler en Suisse voisine.

« J’ai décidé de quitter la France durant les élections présidentielles de 2022, à cause des polémiques nauséabondes entre Éric Zemmour, le Rassemblement national, sans parler des Républicains. J’avais l’impression que tous les maux de la France étaient de notre (musulmans) faute », raconte-t-il à TSA.

« La France, tu l’aimes ou tu la quittes ». Cette sentence, prêtée à tort ou à raison à l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, est devenue le slogan des racistes de tout bord en France.

« Quand Sarkozy a dit « La France tu l’aimes ou tu la quittes », j’ai décidé de quitter la France et je ne le regrette pas », confie Lina* à TSA, cadre dans un grand groupe dans un pays voisin de la France. « Je ne pouvais pas rester dans un pays où la stigmatisation des musulmans est le programme électoral d’une partie de la classe politique. C’est insupportable », raconte-t-elle.

L’acharnement d’une partie de la classe politique et de certains médias sur l’islam et les musulmans a fini par déboucher sur une tout autre situation, « la France, tu l’aimes mais tu la quittes ».

C’est d’ailleurs le titre d’un livre qui vient de sortir vendredi en France sur le phénomène de la fuite des cerveaux musulmans. Il s’agit d’une enquête menée par trois sociologues, dont Julien Talpin, à travers un échantillon de 1000 personnes et 140 entretiens approfondis.

Farid s’est installé en Suisse où il a trouvé un travail conforme à ses compétences. En termes d’embauche et d’avancement, il n’y a pas photo avec ce qui se passe en France. La preuve, le cadre d’origine algérienne est passé directeur commercial « en peu de temps » alors qu’en France, dit-il, « c’est effectivement plus difficile pour les personnes issues de l’immigration ».

Farid est parti seul, sans sa femme, qui est aussi cadre dans le domaine pharmaceutique, et son fils. Une année et demi après, il assure qu’il « ne regrette rien ». Bien au contraire. Et c’est pour cela que sa famille s’apprête à le rejoindre « définitivement » dès l’été prochain. Pour cette famille, comme beaucoup d’autres d’origine musulmane, c’est « adieu la France ».

S’il dit se sentir bien en Suisse, c’est que le problème n’est pas dans l’incompatibilité de sa culture musulmane avec les valeurs occidentales, comme on l’entend souvent en France depuis quelques années. La Suisse aussi est de culture occidentale. Cette réalité a été rappelée par le recteur de la Grande mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, dans un récent billet publié dans le journal Le Monde.

Témoignages de cadres musulmans qui quittent la France

« Il est troublant de constater que les pays accueillant ces exilés français sont majoritairement imprégnés de culture occidentale et majoritairement chrétienne comme la Grande Bretagne », a écrit le recteur, lui-même d’origine algérienne, tout en déplorant « une perte immense pour la France en termes de talents, de compétences et de contributions ».

Farid confirme que le perdant dans cette équation ce ne sont pas les « exilés » qui finissent toujours par trouver mieux ailleurs, mais bien le pays, la France, qu’ils quittent.

« En fait, la France risque de perdre les meilleurs, ceux qui parlent plusieurs langues, ceux qui ont des compétences, et de garder les moins bons. Les compétences optent pour le Canada, les harragas pour l’Espagne et la France », analyse Karim, cadre dans une grande entreprise en France. Soit l’exact inverse de la politique des visas appliquée par la France aux demandeurs maghrébins.

« En tirant dans le tas pour soi-disant réduire l’immigration notamment d’origine musulmane, les extrémistes de tout bord ont fini par cibler tous les musulmans y compris ceux qui sont Français », analyse un chef d’entreprise qui veut rester anonyme. En réalité, le problème de l’extrême-droite en France est l’islam comme le proclame Éric Zemmour.

« L’Islam n’est pas compatible avec la République », répète celui qui est souvent invité sur les plateaux TV pour répandre sa théorie sur le grand remplacement.

Même l’ancien premier ministre Alain Juppé a posé une question similaire, sans être affirmatif comme le polémiste d’extrême-droite.

« Est-ce qu’il y a une forme d’islam qui est compatible avec la République ? Je veux encore le croire. Parce que si la réponse est non à cette question, cela veut dire qu’il y a 4 à 5 millions de Français musulmans qui n’ont pas la place chez nous », a dit cette figure de la droite le 22 octobre sur la radio communautaire Radio J, soit deux semaines après l’éclatement de la guerre à Gaza qui a cristallisé les débats sur la place de l’islam en France .

« Il y a une fuite des cerveaux, on se prive de talents », s’alarme dans le Parisien Mariam Khattab, spécialiste en ressources humaines au cabinet de recrutement Mozaïk RH.

« Les discriminations, le racisme sont à l’origine d’un gigantesque gaspillage humain et de perte de talents », déplore pour sa part sur X, Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste.

Outre ceux rapportés dans l’enquête sociologique qui vient de paraître, de nombreux témoignages sont cités ces derniers jours dans les médias français. Ils sont tous aussi poignants les uns que les autres et décrivent une atmosphère invivable en France.

Antoine Léaument, député LFI, a assuré sur LCP que de nombreux compatriotes qui n’ont pas sa « couleur de peau » viennent le voir pour lui dire ceci : « L’ambiance est tellement nauséabonde que j’ai envie de quitter mon pays ».

Sur RMC, un auditeur a témoigné au téléphone qu’il à dû changer son prénom musulman pour un autre à consonance chrétienne, Grégoire, pour pouvoir le porter sans subir de discriminations dans la société française. « C’est le rapport aux gens qui est insupportable. Si vous voulez évoluer dans le boulot, il ne faut pas être musulman », a-t-il dit.

« On a ce sentiment d’oppression constante », a assuré pour sa part à France Info, Myriam, 25 ans et bac+5 en ressources humaines. La jeune femme dit qu’elle va partir parce qu’elle ne se sent plus à sa place en France. Elle a choisi une destination très lointaine, le Japon, où son voile « ne suscitera pas de réaction ».

Mehdi, 25 ans également et multi diplômé en gestion de patrimoine, assure qu’il ne regarde plus la télévision à cause de ce qu’il entend sur les musulmans et les immigrés à chaque fois qu’il y a un fait divers.

« En France, si vous faites le Ramadan, on vous regarde mal, si vous ne mangez pas de viande de porc, on vous regarde mal, si vous ne buvez pas d’alcool, on vous regarde mal », résume un chef d’entreprise dont les parents sont d’origine algérienne.

*Les prénoms ont été changés

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