Économie

Céréales en Algérie : cette pratique étonnante des agriculteurs

L’Algérie veut développer sa production céréalière pour réduire sa dépendance vis-à-vis de l’étranger, mais cet objectif bute sur la pratique de la jachère.

A Relizane, la pluie a redonné espoir aux agriculteurs et ils sont nombreux à être satisfaits de leurs parcelles de blé. Certains affirment ne semer qu’une année sur deux. Une attitude fréquemment rencontrée en Algérie. Retour sur ces agriculteurs adeptes de la jachère.

« On sème une année sur deux »

Hocine, la trentaine, confie à Ennahar TV : « La région est froide en hiver aussi on sème tardivement. Mais quand il pleut, la terre argileuse est boueuse et cette année on a eu vraiment du mal à finir les semis. »

Son voisin Djelloul, plus âgé, ajoute : « Nous, on ne laboure pas chaque année. Cette terre, on la sème une année sur deux. »  Catégorique, il insiste : « Cette terre nécessite de n’être travaillée qu’une année sur deux. »

Au milieu de sa parcelle, Bouamar affiche sa satisfaction : « Les parcelles de blé sont en bon état. Cette pluie est un bienfait de la nature. On en espère encore en mars et avril ». Au loin, le vert de sa parcelle laisse place à une couleur marron, celle des terres non ensemencées.

Blé : l’espoir d’un rendement de 30 quintaux à l’hectare

Cette pratique est étonnante d’autant plus que l’Office algérien des céréales (OAIC) est contraint d’importer chaque année pour 2,25 milliards de céréales afin de subvenir aux besoins du pays.

A plusieurs reprises, le président Abdelmadjid Tebboune a souhaité que les rendements de blé atteignent 30 quintaux par hectare, contre 17 en moyenne actuellement, en Algérie.

Pour arriver à l’autosuffisance en blé tendre, les pouvoirs publics algériens parient sur des rendements de 30 quintaux. A raison d’une surface de 3 millions d’hectares, un tel rendement permettrait de produire les 90 millions de quintaux importés annuellement.

Aussi, les services agricoles multiplient les initiatives pour encourager les agriculteurs à planter du blé : relèvement du prix d’achat à la production, subvention des engrais et semences, crédit de campagne, guichet unique au niveau des CCLS afin de faciliter la collecte des céréales.

Extension des superficies en blé

A partir des années 1980, le ministère de l’Agriculture et du Développement rural a également misé sur l’extension des surfaces notamment dans le grand sud. Aujourd’hui, l’augmentation de ces surfaces est telle que les économistes locaux parlent de « fronts pionniers ». En 2018, en plein désert, on comptait 5.000 hectares à El Ménéa, 8.000 en 2020 et 10.000 en 2021.

Des surfaces qui permettent une production de plus de 370.000 quintaux de céréales. La wilaya revendique une collecte de 350.000 quintaux de céréales. La liste des wilayas du sud qui, comme Adrar, sont aujourd’hui productrices de blé est longue.

Une production qui fait appel aux réserves d’eau souterraine du Sahara et pose la question de sa durabilité.

Céréales : au nord de l’Algérie, persistance de la jachère

Les extensions réalisées dans le sud algérien pour cultiver les céréales nécessitent de lourds investissements. Les distances entre les lieux de production et ceux de consommation s’avèrent coûteux. Il faut compter 1.500 km entre Adrar et Alger ou Oran.

En 2008, le relèvement du prix du blé dur à 4.500 DA/quintal a contribué à l’extension de ces surfaces céréalières. Co-auteur d’une étude sur la région d’Adrar, l’universitaire Tayeb Otmane indique que « la superficie emblavée de la campagne 2008-2009 a triplé par rapport à celle de la campagne précédente. »

Aujourd’hui, les surfaces destinées aux céréales dans le sud algérien s’étendent sur plusieurs dizaines de milliers d’hectares loin cependant derrière celles du nord.

Le développement de cette agriculture saharienne suscite parfois l’étonnement. En 1991, Daniel Dubost, auteur d’une thèse sur le sud algérien notait qu’il existe « un paradoxe évident à vouloir retirer du désert les denrées alimentaires qu’on a grand peine à obtenir dans les régions plus favorisées ».

En effet, au nord de l’Algérie avec 7 millions d’hectares à vocation céréalière, le potentiel est énorme. Cependant, à l’image de Relizane, les terres en jachère occupent encore 40% dans cette partie du pays où se trouvent les terres plus fertiles. Cela malgré le relèvement en 2021 du prix du quintal de blé dur à 6.000 DA.

Pour l’agriculteur, la jachère présente un intérêt : assurer des terres de parcours pour l’élevage de moutons. Une activité souvent plus rémunératrice que les céréales.

Demander à l’agriculteur de semer plus de blé nécessite donc de l’aider à produire plus de fourrages sur la partie restante de son exploitation. Sans oublier de l’aider à disposer de matériel et de financement supplémentaires.

Dysfonctionnement de la filière céréales

Si les financements sont assurés par la BADR à travers les crédits de campagne de type Rfig, force est de constater que très peu de solutions agronomiques sont proposées aux exploitants. D’abord afin d’améliorer l’association entre céréales et élevage, et ensuite concernant les techniques rapides de semis permettant de mettre en culture l’ensemble de ses terres.

Au niveau de la filière céréales, il existe bien une volonté de construire un cluster agro-industriel avec une chaîne composée de recherche agronomique, formation des agriculteurs et des conseillers, fabrication et distribution d’intrants, production agricole, manipulation, conditionnement, transport et services bancaires.

Reste à trouver les maillons faibles de cette chaîne afin de tendre vers les 30 quintaux de blé à l’hectare, mais également ceux permettant à Hocine et à Djelloul de semer la totalité de leurs terres.

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