Économie

Ces pratiques qui plombent la filière céréales algérienne

Qu’ont de commun les filières céréales et tomate industrielle en Algérie ? Rien, si ce n’est que la première est déficitaire alors que la seconde affiche une réussite insolente.

La situation est telle que le président de la République Abdelmadjid Tebboune a récemment demandé d’en finir avec les pratiques routinières. Pour sortir de l’impasse, cette filière doit-elle s’inspirer de ce qui se fait pour la tomate industrielle ?

L’insolente réussite de la filière tomate

Certes à la différence des céréales, la production de tomate est irriguée, mais cela n’explique pas tout. L’augmentation des rendements s’est faite à travers une multitude d’innovations : repiquage de plants élevés en serre, variétés à haut rendement, irrigation par goutte à goutte, début de mécanisation du repiquage et de la récolte.

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Ces innovations techniques ne sont pas le fruit des services agricoles mais celui des conserveries, des firmes d’agrofournitures et des grainetiers.

L’exemple de la Conserverie Amor Benamor (CAB) est édifiant. Dès 2005 une cellule agronomique de cinq ingénieurs est mise en place. Elle est chargée « de l’assistance, la vulgarisation, la formation et l’information de l’ensemble des agriculteurs cocontractants de la CAB », rapportait en 2011 le quotidien Liberté.

Face à la faiblesse des rendements, la CAB installe sa propre station expérimentale. Sur 5 hectares elle démontre l’intérêt de produire des plants en motte puis de les repiquer en plein champs.

Les rendements passent de 150 quintaux à 800 quintaux par hectare. A partir de 2008, la CAB construit 7.000 mètre carrés de serres permettant de produire 10 millions de plants de tomates et piments. C’est une machine qui sème les graines de tomate dans les mini-mottes de tourbe.

En 2013, 5 machines de récolte sont remises à des agriculteurs. Le média Vitaminedz.com rapporte que les agriculteurs auront 5 ans pour les payer. A l’occasion Sami Benamor, déclare : « Notre relation, en tant que transformateurs, avec les agriculteurs, s’est muée en partenariat gagnant-gagnant.»

Filière céréales, des pratiques routinières

Aucun dynamisme comparable dans la filière céréales. En 2010, le producteur de pâtes alimentaires, Laïd Benamor s’indignait que les agriculteurs qui produisent des blés durs de qualité ne reçoivent que 25 DA de bonification par quintal.

Le barème d’agréage des céréales n’a pas été revu depuis 1988. Quant aux conseils de gestion des Coopératives de céréales et de légumes secs, il n’y a pas eu d’élection depuis près de 30 ans remarque l’agronome Hamoud Zitouni. Une routine insidieuse semble s’être installée.

Les CCLS peuvent cependant se prévaloir de quelques succès. En 2012, elles ont contribué au démarrage de l’irrigation grâce à un astucieux montage financier.

Les CCLS ont contracté un crédit Ettahadi permettant l’acquisition par les agriculteurs de ces équipements. Un matériel remboursé en nature par la livraison de quintaux de blé. Autre innovation, les « couloirs verts » qui permettent aux agriculteurs de livrer leur récolte d’orge en 30 minutes contre 24 heures auparavant.

Comme pour les céréales, les planteurs de tomates reçoivent des subventions. Il suffit du passage d’un agent communal pour qu’un producteur de tomates, même locataire informel d’un terrain, puisse bénéficier des primes.

Cela n’est pas le cas pour les céréales, aucune chance d’obtenir la carte de fellah. Un sésame donnant droit aux subventions sur les semences et les engrais.

Absence de contact entre transformateurs et producteurs

Autre différence de taille, alors que les producteurs de tomates livrent directement leur production aux transformateurs, les céréales passent par un organisme de collecte avant d’arriver chez les transformateurs.

Or la qualité des livraisons pose autant de questions que la faiblesse de leur quantité. Les différents types de blés sont stockés dans les mêmes silos.

Pour l’expert Djamel Benaichouche, les transformateurs préfèrent travailler avec des blés importés : « Les minoteries veulent des blés propres et sains sans semences de mauvaises herbes, avec des qualités boulangères intéressantes achetées sur le marché mondial. Je vois très mal pourquoi elles vont se casser la tête pour un produit [local] qui ne répond pas aux normes. »

Agriculteurs, s’organiser en vraies coopératives céréalières

Une qualité des blés que des propriétaires de moulins tentent d’améliorer à travers des réseaux d’appui à la production. C’est le cas de Smid Tell à Sétif ou du groupe Benamor à Guelma.

En 2019, Abdelkrim Keraghel de Smid Tell et représentant du réseau RéQuaBlé indiquait que la moyenne de rendement des adhérents était passée de 12 quintaux/hectare en 2011 à une moyenne de 32,5 en 2018 avec un taux de mitadinage passant de 30 à 0,15%.

Sur les réseaux sociaux, l’agriculteur Michel Dedenon, bon connaisseur de l’Algérie porte un regard sévère : « A vous agriculteurs céréaliers à vous organiser en vraies coopératives et monter des structures de contrôle et certifications des céréales. Aujourd’hui vous avez choisi la facilité : vendre au prix fort (subventionné) des céréales sorties de moissonneuses sans stockage, ni triées. »

Le ministre de l’agriculture a récemment indiqué à la Radio Algérienne qu’un plan céréales a été établi en concertation avec pas moins de 50 experts. Un moyen pour sortir la filière céréales de la routine.

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