Économie

Comment les Algériens peuvent réduire leur consommation d’énergie

Redha Tachi est le directeur commercial Afrique de l’entreprise Edergen. Une entreprise belge présente en Algérie depuis  2014 qui commercialise une pompe à chaleur de la marque Aisin Toyota.

De passage à Alger à l’occasion de la 24e édition du salon international du bâtiment, des matériaux de construction et des travaux publics (Batimatec 15-19 mai), cet expert en efficacité énergétique revient dans cet entretien accordé à TSA sur les potentialités énergétiques de l’Algérie. Il propose des pistes pour une consommation d’énergie « mesurée et responsable ».

En tant qu’expert en énergie renouvelable, quel constat faites-vous de l’état d’avancement de l’Algérie en matière de transition énergétique ?

Ce qui est positif c’est qu’aujourd’hui l’Algérie a décidé d’une manière volontariste de prendre la direction de la transition énergétique, avec notamment la création d’un ministère dédié à cette mission.

Nous constatons quelques avancées dans certains secteurs. Néanmoins, cela reste dérisoire par rapport au grand potentiel dont dispose l’Algérie en matière de ressources humaines et naturelles disponibles.

Quels sont les principaux freins au développement des énergies renouvelables en Algérie ?

Il y a plusieurs facteurs qui influent négativement sur le développement des énergies renouvelables en Algérie. Le prix anormalement bas des énergies fossiles, le coût élevé de la technologie et d’autres obstacles d’ordre technique. Malheureusement, beaucoup d’énergies renouvelables restent peu compétitives.

A titre d’exemple, l’électricité créée par les énergies fossiles tel que le gaz naturel affiche des prix encore inférieurs à celle produite par les panneaux photovoltaïques. Le coût de la technologie reste par ailleurs très élevé pour espérer un rapide retour sur investissement.

Les entreprises et décideurs n’ont pas très envie d’investir dans une solution sans aucune rentabilité derrière. C’est un argument que l’on peut comprendre.

L’Algérie s’est engagée depuis quelques années dans une politique de transition énergétique, sur le volet des énergies renouvelables, quelles devraient être selon vous les priorités du gouvernement ? 

Lorsqu’on évoque la transition énergétique, on a tendance à penser systématiquement au solaire alors qu’il existe d’autres leviers d’actions plus efficaces et moins coûteux, telles que l’efficacité et la sobriété énergétiques.

Pour réduire le besoin en énergie, le levier « efficacité énergétique » met tout le monde d’accord parce qu’il s’agit de consommer moins à service rendu égal. En d’autres termes, cela veut dire que l’on réduit notre consommation en énergie sans toucher à notre confort habituel. Le tout en utilisant simplement des technologies plus performantes.

A titre d’exemple, il est aujourd’hui contre-productif de continuer à mettre en vente sur le marché algérien des chaudières atmosphériques qui utilisent  des technologies anciennes, archaïques et de surcroît énergivores.

Ce type de chaudière doit être remplacé en urgence par des chaudières à condensation plus performantes et plus économiques, et qui ont un rendement supérieur à 100 %, jusqu’à 108 % en utilisant la chaleur résiduelle des fumées, contre 80 % pour des chaudières atmosphériques. Cela signifie une économie de 25 %.

Plus important encore, la clé de l’économie d’énergie passe avant toute chose par l’isolation des bâtiments car quelle que soit la technologie de chauffage ou de refroidissement installée dans une maison ou dans un immeuble administratif, les gains en économie seront plus importants avec une bonne isolation.

D’autre part, on dit que la meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas. Et ce n’est pas faux. Pour réduire et limiter notre consommation en énergie, il faut non seulement des changements technologiques, mais aussi des changements de comportements au niveau des individus  et des entreprises. Nous devons sensibiliser et inciter nos concitoyens à passer à une consommation d’énergie mesurée et responsable.

Aujourd’hui, une famille algérienne consomme en moyenne 5.000 kwh d’électricité par an, avec 24 heures par jour et 365 jours par année, cela représente une puissance moyenne de 570 watts en continu. C’est énorme.

Parfois, de simples gestes responsables peuvent aider à faire des économies substantielles. Le fait de baisser la température de son thermostat d’ambiance de 1° permet d’économiser jusqu’à 8 % d’énergie de chauffage.

Le président de la République Abdelmadjid Tebboune a affirmé en février dernier, que l’Algérie était capable de devenir un acteur clé dans le domaine de l’hydrogène vert, et a indiqué que le pays disposait des meilleures options au niveau mondial dans ce domaine. Qu’en pensez-vous ?

C’est très juste. L’Algérie est classée parmi les pays à fort potentiel pour la production et l’exportation de l’hydrogène vert, et de façon plus large au power to X, ce qui signifie la conversion de l’électricité en d’autres produits énergétiques.

Le potentiel en renouvelable solaire dont dispose notre pays le positionne en tête de peloton des pays susceptibles de développer et d’exporter  l’hydrogène vert mais pas que. La proximité géographique de l’Algérie au continent européen est un avantage de plus pour faciliter l’acheminement de l’hydrogène à moindre coût.

La guerre qui sévit actuellement en Ukraine a des conséquences sur la fourniture en gaz de l’Europe. L’Algérie pourrait-elle être une alternative crédible au gaz russe ?

Afin d’augmenter la part de marché du gaz algérien sur le continent européen, il faudrait dans un premier temps chercher à stabiliser la consommation nationale en gaz en mettant l’accent sur l’utilisation des énergies solaires, l’efficacité énergétique et la sobriété énergétique, pour ensuite penser à exporter l’excédent en gaz vers d’autres marchés européens.

Votre entreprise Edergen commercialise un système de pompe à chaleur innovant qui permet de réduire la consommation énergétique. Pouvez-vous nous expliquer le principe ?

Aisin Toyota est une pompe à chaleur réversible alimentée au gaz naturel, LPG ou à l’hydrogène vert au lieu qu’elle soit alimentée à l’électricité.

Le cycle frigorifique est identique au système classique, le compresseur n’est cependant pas entraîné par un moteur électrique mais plutôt par un moteur à combustion interne fonctionnant au gaz naturel, LPG ou à l’hydrogène vert.

Quels sont les avantages de cette pompe à chaleur à gaz ?

Notre plus grand avantage réside dans le fait que cette technologie mise sur la complémentarité de deux sources d’énergie, le gaz naturel et les énergies renouvelables puisées dans l’air.

En Algérie, les coûts en énergie pour alimenter une pompe à chaleur au gaz sont 90 % inférieurs aux coûts en énergie pour alimenter une pompe à chaleur électrique.

Il y a par ailleurs une autre économie non négligeable : dans un hôtel, hôpital ou dans un bloc administratif, 65 % de l’alimentation électrique est destinée à la climatisation électrique, ce qui est énorme surtout lorsqu’on sait que l’électricité utilisée est d’origine non renouvelable.

En résumé, le fait de remplacer une pompe à chaleur électrique par une autre technologie fonctionnant au gaz naturel ou au LPG permet de faire des économies substantielles, non seulement sur la facture énergétique, mais également sur les coûts d’investissements du projet global : transformateurs électriques, groupes électrogènes ou encore le câblage électrique.

Dans quelles mesures cette technologie pourrait-elle avoir un apport positif sur l’économie nationale ?

La pompe à chaleur à gaz utilise directement le gaz d’une manière décentralisée sans aucune perte quasiment.

Par contre, la climatisation électrique utilise une énergie électrique transformée dans les turbine gaz vapeur, cette dernière n’a généralement pas un bon rendement, plus ou moins 40 %, ce qui veut dire que nous gaspillons beaucoup de gaz  lors de la production de l’électricité en amont, c’est une quantité de gaz importante que nous aurions pu exporter vers l’Europe pour augmenter notre part de marché.

A titre d’exemple, pour faire fonctionner 2000 MW de froid avec un système de climatisation à gaz, nous aurons besoin de 40 millions m3 de gaz par an, contre 67 millions  m3 pour un système de climatisation électrique,  soit près de 70% en plus.

Grâce au système de pompe à chaleur à gaz,  l’Algérie  pourra économiser  jusqu’à 27 millions de m3 de gaz par an. C’est ce qu’on appelle communément  la rationalisation de la consommation de l’énergie primaire.

Les pompes à chaleur au gaz sont des équipements au service des objectifs de la transition énergétique, permettant le développement des énergies renouvelables tout en contribuant à la réduction des émissions de CO2. Elles permettent également la limitation du pic de la consommation électrique en été pendant les fortes chaleurs.

Qui sont vos clients qui ont adopté votre technologie en Algérie ? Quelles sont vos références ?

Aujourd’hui, nous avons plus de 250 pompes à chaleur à gaz installées en Algérie. Parmi nos clients, nous avons des hôtels, cliniques, sièges administratifs, usines, maisons unifamiliales.

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