Économie

En Algérie, le prix des œufs s’envole

Les prix des œufs en Algérie prennent l’ascenseur. À Alger, le plateau de 30 œufs coûte 600 DA contre 380 à 400 DA l’an passé.

Consommateurs, commerçants, transporteurs, et éleveurs ont chacun une explication : coût de l’aliment, grippe aviaire, contrôles tatillons, ou spéculation.

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Peu d’affluence en cette matinée au marché de gros des Eucalyptus à Alger. Une majorité de camions frigorifiques. « Regardez, il n’y a pas de marchandise. D’habitude le marché est plein », confie un vendeur à Akhbar Elwatane.

Devant son camion, emmitouflé dans sa traditionnelle kachabia, il attend les acheteurs. Les portes largement ouvertes laissent entrevoir un front de 7 piles de plateaux d’œufs avec pour chaque pile une vingtaine de plateaux.

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Face à la hausse des prix des oeufs, un commerçant s’inquiète : « Celui qui a un salaire mensuel de 15 000 ou 12 000 dinars ne peut plus acheter un plateau à 600 dinars ».

Commerçants, une marge minime

Les commerçants sont ulcérés d’être pointés du doigt dans cette flambée des prix des œufs. « On dit que les commerçants spéculent, regardez tous ces commerçants sur le marché, le meilleur d’entre eux ne prend que 5 DA », s’insurge un des commerçants.

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Un autre justifie sa marge : « L’agriculteur vend le plateau à 540 DA. Entre lui et le consommateur il y a une différence de 60 DA qui est partagée à moitié par le transporteur et le commerçant ». Il indique que ce ne sont pas ces 60 DA qui expliquent la hausse actuelle.

Même son de cloche à Tipaza où un ouvrier sort d’un poulailler les bras chargés de plateaux qu’il dépose à l’arrière de la camionnette d’Allal Dahmani. Celui-ci, la quarantaine avancée, calot sur la tête et barbe fournie, revendique 22 ans de métier et précise que : « Depuis 2002, ma marge est de 5 DA, c’est la même qu’aujourd’hui ».

« Auparavant j’achetais 1 000 plateaux, cela me coûtait 20 à 25 millions de centimes (200.000 dinars à 250.000 dinars). Aujourd’hui cela me revient à 100 millions de centimes. D’où voulez-vous que je trouve cette somme ?». Quant au respect d’une hypothétique chaîne du froid, il déclare n’avoir jamais vu un éleveur stocker ses œufs dans un local réfrigéré.

Àproximité d’un plateau tombé accidentellement au sol, un autre vendeur indique que les marges sont si faibles que lors du transport, il suffit d’un simple dos d’ânes pour que la casse fasse perdre des sommes non négligeables. Plus loin, un commerçant déclare : « Lors des contrôles routiers, on nous demande des factures, mais il n’y a aucun éleveur qui nous en délivre« .

Œufs : obligation de transports frigorifiques

Autre sujet d’inquiétude, la nouvelle obligation du transport des œufs dans des véhicules réfrigérés. Un vendeur debout devant sa fourgonnette remplie de plateaux donne son avis : « On ne peut plus travailler alors qu’on paye les impôts, la Casnos et maintenant on nous impose l’utilisation de véhicules frigorifiques  Les contrevenants risquent la saisie de leur marchandise ».

Un représentant local de l’association des commerçants s’étonne de cette décision et demande une étude scientifique. Il s’étonne également du manque d’infrastructures sur ce marché informel.

Élevages fermés pour cause de grippe aviaire

Les transactions s’enchaînent et des piles de plateaux passent de véhicule en véhicule. Vendeurs et commerçants manipulent des liasses de billets. Des liasses pliées en deux pour, d’un geste expert, mieux compter les billets. Les premières camionnettes chargées d’œufs quittent le marché.

En fait, le marché n’est qu’un simple terrain vague entouré d’arbres où ces professionnels se donnent rendez-vous. « Un marché qui peut être fermé du jour au lendemain », s’inquiète un commerçant.

À Tipaza, Mohamed fait visiter son élevage. Un élevage industriel composé de plusieurs bâtiments. Une ouvrière garnit des plateaux avec les œufs qui arrivent directement des cages grâce à un tapis roulant.

Dans des cages, des poules picorent avec avidité les grains de maïs. Entassées par 4 dans les cages, elles profitent de la mangeoire à tour de rôle. Certaines ont perdu une partie de leurs plumes.

Contre la grippe aviaire, les vaccins arrivent

L’aviculteur accueille le vétérinaire Amine Fettah. Celui-ci enfile une simple blouse blanche là où combinaison stérile et chaussons réglementaires sont préférables pour éviter la propagation de germes entre les différents élevages. Entre les cages, il arpente les allées et saisi ici et là une poule pour l’examiner.

En 2020, il y a eu une première vague de grippe aviaire liée au virus H5N1 et une autre en 2022.  L’épidémie a causé une forte mortalité parmi les élevages de poules pondeuses et par conséquent une baisse des capacités de production.

Le vétérinaire explique que depuis décembre un vaccin est disponible. Le retard dans les approvisionnements est dû au temps nécessaire pour le diagnostic afin de déterminer la souche exacte. Les premières vaccinations ont eu lieu et on devrait voir assez rapidement les premiers effets.

Dans l’atelier de préparation des aliments, le stock de maïs est imposant. Se côtoient silos, broyeurs et vis sans fin.

Le vétérinaire a enlevé sa blouse et poursuit : « Après la pandémie liée au Covid 19, les prix du maïs, du soja, du phosphate et des vitamines ont augmenté. Le quintal de phosphore est passé de 6 000 DA à 40 000 DA ». Étonnant alors que l’Algérie est riche en phosphate naturel. Le quintal de tourteau de soja est passé de 5.000 à 12.000 DA, celui du maïs de 3.000 à 5.500 DA.

Pour le vétérinaire : « Face à l’augmentation des matières premières, des éleveurs ont arrêté de produire. Si les matières premières ont augmenté, les prix des œufs doivent augmenter« .

L’aviculteur montre un bâtiment : « Vous voyez ce poulailler, il est vide. Je n’ai pas voulu introduire une nouvelle bande de poules. L’aliment est cher et il y a le risque de maladies, c’est pour cela qu’on est à l’arrêt ».

Les associations, des avis tranchés

Le président de l’association des commerçants et artisans algériens est catégorique : « Personne ne fixe les prix. Ils résultent de l’offre et de la demande. La hausse actuelle est due à une baisse de l’offre qu’il faut rechercher au niveau du ministère de l’Agriculture ».

Il concède cependant la possibilité d’une spéculation liée aux intermédiaires et ajoute d’un ton solennel : « Nous avons demandé aux autorités la création de coopératives agricoles comme avant pour une vente directe de l’aliment de bétail aux éleveurs ».

Pour le président de l’association des consommateurs (Apoce), la cause de cette envolée est liée à la hausse de l’aliment pour volailles et des intrants dont les produits vétérinaires.

Il insiste sur le fait que « l’aliment de volaille constitue un grave problème d’autosuffisance alimentaire encore non résolu. Sa production devrait être locale« . Enfin, il ajoute que le ministère de tutelle est en discussion avec l’Office national des aliments de bétail (Onab) pour étudier d’éventuelles baisses de prix.

La filière avicole, à la croisée des chemins

Moutons et vaches peuvent valoriser une gamme plus étendue de fourrages, faudrait-il alors revoir l’allocation du maïs et du soja pour les réserver au seul secteur avicole ? Sur 7 millions d’hectares chaque année 40% restent en jachère, c’est -à -dire non cultivée.

Près de son camion frigorifique, un commerçant s’inquiète : « Si les éleveurs s’arrêtent, qu’allons-nous devenir ? ». En Algérie, la filière avicole est à la croisée des chemins.

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