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ENTRETIEN. Ali Bey Nasri : « La réglementation de change n’encourage pas l’exportation »

ENTRETIEN. Ali Bey Nasri : « La réglementation de change n’encourage pas l’exportation »

Ali Bey Nasri, président de l’Association nationale des exportateurs algériens (Anexal) explique pourquoi l’Algérie n’arrive pas à développer ses exportations hors hydrocarbures. Il met en cause la Banque d’Algérie et la réglementation des changes, « obsolète », « répressive » et qui n’encourage pas l’exportation.

Le président de la République a consacré une bonne partie de son discours du 18 août aux exportations. C’est un bon signe ?

Ali Bey Nasri, président de l’Association nationale des exportateurs algériens (Anexal) : Nous avons été très agréablement surpris que pour la première fois un président de la République parle de l’exportation. Notre drame c’est qu’il y avait deux freins à l’export : une absence de volonté politique et un désintérêt des entreprises qui étaient sur un marché rémunérateur. Pour la première fois, nous en tant qu’association des exportateurs, nous avons de l’espoir parce que ça a été exprimé publiquement et un peu dans le détail. Le président de la République a été ministre du Commerce par intérim et je pense qu’il nous écoute puisqu’il a repris ce que nous avons toujours soulevé. 

L’objectif qu’il a annoncé, soit l’exportation pour 5 milliards de dollars en 2021, est-il réaliste ?

Le chiffre de 5 milliard de dollars annoncé par le président de la République, c’est-à-dire un peu plus du double du montant des exportations hors hydrocarbures en 2019 qui était de 2.5 milliards, je pense que c’est un objectif qui est ambitieux et nous en tant qu’exportateurs, on va s’atteler à l’atteindre.

Nous sommes des hommes de terrain. Suite à cette annonce du président, nous avons décidé au niveau de l’association d’organiser une journée consacrée exclusivement à cet objectif et aux conditions de sa réalisation.

Pourquoi les exportations hors hydrocarbures ne décollent pas ?

Il y a notamment la réglementation de change qui est obsolète, répressive et qui n’encourage pas l’exportation. Cette rigueur appliquée aux exportateurs n’a pas empêché le transfert illicite  de milliards de dollars. Il faut savoir que pour 10 euros de moins dans une facture, on vous demande des justificatifs.

On a été pénalisés, il y a des opérateurs qui ont été présentés devant les tribunaux. Pour tout cela, beaucoup d’opérateurs et d’entreprises avaient peur de l’export à cause du risque qu’il y avait. Il y a d’abord un risque d’interdiction du commerce extérieur, ce qui est illégal. Il y a une grande entreprise qui a exporté pour 3 millions de dollars et qui a failli voir son dossier transféré au tribunal pour 3 000 dollars. 

Le président a annoncé que l’Etat va céder une partie des devises aux exportateurs…

Nous saluons cette décision qui est, à mon sens, un encouragement. Il y a lieu de préciser que certains font une confusion sur le taux de rétrocession actuel. Ils pensent que les exportateurs perçoivent 50% des montants exportés en devises et l’autre moitié en dinars. Or, ce n’est pas exactement ça. La somme qui va dans le compte devises ‘personne morale’, ou ‘compte de fonctionnement’, qui est de 30%, vous ne devez la consacrer qu’à l’achat des matières ou des équipements. La devise qui est cédée aux opérateurs dans le cadre de sa libre utilisation, c’est uniquement 20% du montant total de la facture. Mais même ces 20%, la Banque d’Algérie ne vous autorise pas à les utiliser, bien que la réglementation est claire et limpide. Elle stipule que ce montant logé dans le compte d’exportation est laissé à la libre discrétion de l’exportateur et sous sa responsabilité dans le cadre de la promotion de ses activités.

Il y a une note qui instruit les banques de limiter le montant à prendre sur le compte exportation à 7500 dollars, et d’exiger un billet d’avion. C’est du cinéma. Cette note est illégale car elle est en contradiction avec la législation. La réglementation de change, telle qu’elle est, c’est une épée de Damoclès au-dessus de la tête des exportateurs. Il y a aussi la bureaucratie qu’il faudrait combattre, les surcoûts logistiques… 

Quelles sont les filières que vous voyez capables d’aider à réaliser l’objectif annoncé par le chef de l’Etat ?

Je pense qu’il faut aller vers une analyse meilleure en matière d’offre exportable. Il faut savoir que les 2.5 milliards de dollars exportés en 2019 étaient composés à 70% de dérivés des hydrocarbures, des fertilisants.

Le reste des filières exportent pour à peu près 600 millions de dollars. La question est comment trouver les 2 milliards qui manquent. Je pense qu’avec les encouragements des autorités et les propositions que nous allons faire, si elles sont acceptées, on pourra multiplier par trois ou quatre le chiffre exporté par la filière agricole, qui est actuellement à 83 millions, dont 70 millions pour les dattes. On peut aller facilement à 250 millions de dollars. Bien sûr qu’on est toujours loin de l’objectif.

Le secteur agroalimentaire, actuellement dominé par le sucre, exporte pour 250 millions de dollars. Si l’exportation n’est pas interdite (ce qui est le cas depuis hier mardi), on peut aller à 400 millions. On a aussi le phosphate, l’hélium, le ciment qui est actuellement à 60 millions et qui peut facilement doubler, et les produits sidérurgiques, notamment le rond à béton, même si je ne peux pas me prononcer maintenant sur le niveau de la filière. Il y a aussi les services qui pourraient être une source importante de revenus.

Vous avez sans doute d’autres difficultés à soulever et d’autres propositions à faire…

Pour les produits agricoles par exemple, le problème c’est qu’il n’y a pas d’entreprises qui ont atteint ce qu’on appelle la taille critique. L’exportation, c’est un financement, des investissements… Mis à part quelques-unes, il n’y a pas en Algérie des entreprises qui ont la taille critique pour attaquer les grands marchés.

C’est les petits ruisseaux qui font les grands fleuves certes. Mais c’est valable pour certains secteurs et pas pour d’autres. Comment se fait-il que nous soyons absents du marché européen qui est juste à côté ? Si vous ne faites pas du volume, vous n’assurez pas la régularité, vous n’êtes pas conforme, vous restez chez vous. Dans l’agriculture, on ne peut pas être petit exportateur. Au Maroc, par exemple, trois sociétés réalisent 40% des exportations agricoles du pays.

Même pour la datte, nous n’avons pas de taille critique. En Tunisie, un seul exportateur réalise 12 000 tonnes, c’est-à-dire qu’il a la capacité de répondre à tout moment à n’importe quelle demande. Il faut intéresser des gens à investir dans les plateformes d’exportation des produits agricoles. Si on n’a pas de grands moyens financiers, si on n’a pas une infrastructure aux normes et des moyens de contrôle des produits, on ne peut pas pénétrer les grands marchés. On ne peut pas développer l’exportation des produits agricoles sans IDE. C’est eux qui vont nous apporter les moyens modernes, la maîtrise de l’itinéraire technique, les réseaux de commercialisation…

Il faut aussi aller vers des produits qui ont une plus grande valeur ajoutée, comme la pomme ou la fraise au lieu d’exporter de la tomate par exemple, penser à développer l’exportation du bio. C’est une question de stratégie.

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