Économie

Face à une crise financière qui s’aggrave, que peut faire le gouvernement Djerrad ?

Pour le gouvernement Djerrad, la voie s’annonce de plus en plus étroite. Pénalisé par un héritage économique constitué par des déficits internes et externes d’un niveau considérable, il doit également affronter depuis son arrivée aux affaires les urgences économiques créées par la crise politique que traverse notre pays depuis plus d’un an.

A ces difficultés majeures s’ajoute désormais une chute brutale des cours du pétrole qui risque de fausser tous les calculs alors même que le gouvernement doit concrétiser les promesses électorales du président Tebboune.

Face à cette réduction de ses marges de manœuvre financière, la seule voie de salut pour le nouveau gouvernement pourrait résider dans une accélération de sa démarche de réforme de la gouvernance économique.

Une LFC qui s’annonce compliquée

Alors que le prix du baril de Brent se maintient difficilement au-dessus des 50 dollars, les prévisions, déjà très fragiles, du gouvernement en matière de recettes internes et externes apparaissent de plus en plus improbables.

Côté fiscalité pétrolière, la loi de finances 2020 prévoyait, de façon apparemment très prudente, des recettes réduites à 2200 milliards de dinars pour l’année en cours. La chute actuelle des prix pétroliers pourrait bien rendre fortement caduques ces prévisions qui sont en réalité basées sur un prix de marché de 60 dollars en 2020.

Pour fixer les idées, les 2660 milliards de dinars (l’équivalent d’environ 22 milliards de dollars) de recettes réalisées en 2019, ainsi que vient de le révéler le Premier ministre, ont été collectées grâce à un prix moyen du baril proche de 65 dollars.

Le déficit du budget de l’Etat, évalué de façon très « conservatrice » à un peu plus de 7% du PIB et 1550 milliards de dinars, pourrait donc être sensiblement plus élevé que prévu. Une situation d’autant plus préoccupante que le déficit réel des comptes publics était déjà en réalité supérieur à 11% du PIB si on tient compte de la contribution de l’Etat au financement des retraites (700 milliards de dinars de déficit prévus en 2020).

La loi de finances complémentaire (LFC) prévue pour l’été prochain s’annonce donc comme un exercice particulièrement difficile. D’autant plus qu’elle fera face à une autre contrainte majeure, celle constituée par la nécessaire concrétisation des promesses du président Tebboune en matière d’amélioration du pouvoir d’achat des revenus les plus faibles et de réduction de la charge fiscale.

L’impact de la suppression de l’IRG sur les salaires inférieurs à 30.000 dinars a déjà été évalué à 90 milliards de dinars par les services du ministère des Finances. On ne connait pas encore celui d’une augmentation du Smic à 22 000 dinars ni celui de l’abandon de la taxation au réel des revenus des professions libérales.

Les espoirs placés par le gouvernement dans « l’amélioration du recouvrement et la lutte contre l’évasion fiscale » ne seront, selon toute vraisemblance, pas suffisants pour compenser les augmentations de dépenses et les abandons de recettes annoncés.

Au total, le déficit budgétaire réel pourrait bien être supérieur, dans une proportion de 1 à 2% du PIB, aux chiffres prévus initialement. Planche à billets ou non, son financement sera réalisé par le gonflement de la dette interne qui a déjà atteint officiellement près de 50% du PIB fin 2019, ainsi que vient de l’annoncer le Premier ministre, et qui devrait dépasser allègrement le niveau de 60% du PIB à fin 2020.

Des réserves de change sous forte pression en 2020

Côté déficit externe et recettes en devises, les choses ne s’annoncent pas mieux. Fin 2019, la balance des paiements a accusé un déficit proche de 18 milliards de dollars qui a été à l’origine d’une réduction du même montant des réserves de change.

Les espoirs de stabilisation du montant de ces réserves « vers la fin du premier trimestre 2020 » exprimés par le président Tebboune lors de ses premières interventions publiques ont désormais de fortes chances d’être déçus.

Les efforts très importants de réduction des importations annoncés pour l’année en cours risquent d’être effacés par la chute des prix pétroliers. Un baril à 55 dollars en moyenne en 2020 entraînerait une baisse de près de 5 milliards de dollars de nos exportations en les ramenant autours de 30 milliards de dollars contre 35 milliards de dollars en 2019 et 41 milliards en 2018.

Ce scénario probable devrait gonfler le déficit commercial et celui de la balance des paiements en portant ce dernier au-dessus de 20 milliards de dollars à la fin de l’année en cours.

Les réserves de change du pays seront donc de nouveau sous forte pression en 2020, d’autant plus qu’elles devront affronter cette année une ponction supplémentaire de 3 à 4 milliards de dollars en raison de la décision de mise en œuvre du droit de préemption sur les actifs pétroliers cédés par les associés de Sonatrach.

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L’immense chantier de la gouvernance

Confronté à une situation financière particulièrement délicate, le gouvernement Djerrad a semblé, dès son installation, clairement placer l’amélioration de la gouvernance au centre de son action.

Le programme du gouvernement annonce dans ce domaine des objectifs très ambitieux : « Dans un contexte de contraintes budgétaires, il est important d’évaluer l’utilisation de chaque dinar dépensé par le budget de l’Etat. C’est pourquoi le gouvernement s’emploiera à la mise en place d’une gouvernance appropriée et rénovée de l’évaluation des projets et des politiques publiques, qui sera externe à l’administration et qui impliquera la consultation des bénéficiaires des projets et des politiques, des autres institutions publiques, des élus et des partenaires » .

Cette ambition initiale, qui entre en résonance avec beaucoup des aspirations du mouvement populaire, a semblé se diluer dans les dernières semaines, rattrapée par des urgences économiques diverses ainsi que par le poids des engagements électoraux du président Tebboune.

Entre transparence de l’action des pouvoirs publics, concertation avec les acteurs économiques et sociaux et redevabilité des responsables et des élus à tous les niveaux, il s’agit pourtant de la voie de plus en plus étroite par laquelle peut passer désormais un redressement de la situation de notre pays.

En matière de transparence, on attend déjà du gouvernement, outre le commencement de la mise en œuvre de son ambitieux programme d’«open data », une communication plus franche et plus régulière sur notre situation économique réelle.

En matière de concertation, il faudra trouver de nouveaux canaux et de nouveaux instruments dont les diverses « assises nationales » annoncées pour les prochains mois ne seront forcément que des ébauches incomplètes.

Quant à la redevabilité, il s’agit encore d’une culture largement étrangère aux pratiques nationales. Il suffit pour s’en convaincre de citer le président Tebboune lui-même : « Je tiens, également, à souligner que désormais l’exercice des missions et attributions sera évalué et apprécié à l’aune de la responsabilité et de la redevabilité qui s’y attachent en tenant compte, essentiellement, du niveau de prise en charge réelle des besoins et préoccupations exprimées par les citoyens en général et par les opérateurs économiques et sociaux, en particulier. En effet, il est essentiel, pour la crédibilité de l’Etat et des institutions publiques que les engagements pris soient honorés car c’est la condition sine qua non du rétablissement du lien de confiance entre l’Etat et le citoyen ».

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