Économie

Grands producteurs de pétrole : une roulette russe fatale à tout le monde ?

La crise qui frappe l’industrie pétrolière mondiale est inédite. Lundi dernier, pour la première fois de l’Histoire, le pétrole américain s’est vendu à perte, à -37,63 dollars le baril.

Le Brent, le pétrole de référence européen, était descendu jusqu’ à 16 dollars ce mercredi 21 avril, avant de remonter légèrement. Une scène saisissante et expressive est rapportée par l’agence Bloomberg : 13 pétroliers, devenus de facto des réservoirs de pétrole flottants, sont en rade au large de la Californie, ne sachant quelle destination prendre.

Ils sont chargés, selon la même source, de quelque 20 millions de barils, soit le cinquième de la demande mondiale journalière. La crise du coronavirus ayant fait chuter lourdement la demande (de 20 à 30 millions de barils, selon les estimations), beaucoup de raffineries ont cessé ou réduit leur activité et les espaces de stockage se sont vite retrouvés saturés.

C’est la retombée directe de la pandémie mondiale, mais quelque part aussi des mauvais calculs des grands producteurs mondiaux. À la manœuvre, l’Arabie Saoudite, la Russie et les États-Unis.

Fait aussi inédit, l’accord entre les pays de l’Opep et leurs partenaires (dont la Russie) de réduire la production de 10 millions de barils/jour et les déclarations, notamment de Riyad et de Donald Trump faisant état d’une baisse plus conséquente allant jusqu’à 20 millions de barils, n’ont servi à rien et n’ont pas aidé les prix à remonter la pente ou même à atténuer la chute.

Le mal est déjà fait et la persistance de la pandémie et du confinement de plus de la moitié de la population mondiale laissent peu de marge de manœuvre à la géostratégie pour peser positivement sur le marché.

Le 6 mars, les pays de l’Opep+ avaient échoué à réduire la production de 1.5 millions de barils. Beaucoup n’avaient pas compris l’attitude de refus de la Russie, dont l’économie repose portant en partie sur les hydrocarbures et, surtout, la réaction épidermique de l’Arabie Saoudite qui a décidé en représailles d’inonder le marché en pétrole pas cher.

Ce vent de froid entre Vladimir Poutine et le Royaume du Golfe, après des mois de réchauffement, notamment depuis le silence américain face aux attaques de missiles sur les installations pétrolières saoudiennes en septembre dernier, était, dans un premier temps favorablement accueilli du côté de Washington.

Trump se frottait publiquement les mains devant cette aubaine qui allait permettre à son pays de remplir ses réserves au moindre coût. « Nous allons les remplir à ras bord, faisant économiser au contribuable américain des milliards et des milliards de dollars, soutenant notre secteur pétrolier [et promouvant] cet objectif merveilleux – que nous avons atteint, ce que personne ne pensait possible – de l’indépendance énergétique », a-t-il déclaré.

Une altercation entre MBS et Poutine à l’origine de la brouille ?

Mais les États-Unis étant eux-mêmes un gros producteur, Trump a vite compris qu’une baisse durable des prix allait dévaster la production locale et menacer des dizaines de milliers d’emplois dans son pays.

Il sera d’ailleurs le premier à saluer l’accord enfin trouvé, le 9 avril, entre le roi Salmane d’Arabie Saoudite et Vladimir Poutine, président de la Russie.

« Le grand accord pétrolier avec l’OPEP+ est conclu. Il sauvera des centaines de milliers d’emplois dans l’énergie aux États-Unis. Je voudrais remercier et féliciter le président Poutine de Russie et le roi Salmane d’Arabie saoudite. Je viens de leur parler depuis le Bureau ovale. Super accord pour tous ! », avait tweeté le président américain. L’accord portait sur une baisse de près de 10 millions de barils par jour, mais ce sera insuffisant. Surtout, il est arrivé trop tard.

Le site Middle East Eye explique qu’à l’origine de la brouille entre Russes et Saoudiens se trouve un appel téléphonique qui aurait mal tourné entre Mohamed Ben Salmane et Vladimir Poutine.

C’était à la veille de la réunion du 8 mars où les producteurs Opep et hors Opep avaient échoué à faire baisser la production de seulement 1.5 millions de barils/jour.

« Juste avant cette réunion, un coup de fil a été passé entre Poutine et MBS. MBS s’est montré très agressif et a lancé un ultimatum : faute d’accord, les Saoudiens lanceraient une guerre des prix. Cette conversation était très personnelle. Ils se sont criés dessus. Poutine a rejeté l’ultimatum et l’appel s’est mal fini », explique une source saoudienne anonyme à Middle East Eye.

« L’appel passé à Poutine avait reçu la bénédiction de Trump via Kushner. Kushner n’a pas demandé à MBS de le faire, mais il était au courant et n’y a pas mis de veto. Ben Salmane a tiré ses propres conclusions », affirme la source.

L’attitude de MBS est qualifiée de jeu de la roulette russe, mais c’est tout le monde qui, dans ce jeu, se met en danger finalement au vu de la tournure des événements.

En ayant obligé le président russe à accepter un accord sur la baisse de la production, « Riyad pouvait se montrer satisfaite, après être arrivée à ses fins et avoir consolidé son leadership sur le marché global du pétrole », constate l’analyste Cinzia Bianco dans une note de l’European Council on Foreign Relations.

Mais, prévient-elle, «l’épisode n’est pas terminé, et les risques demeurent très élevés pour l’Arabie saoudite ». Le prince saoudien s’est en effet mis à dos le puissant lobby pétrolier américain et des parlementaires du Texas et du Dakota se sont mis à réclamer des sanctions contre l’Arabie saoudite, dont par exemple le retrait des missiles de défense Patriot, ou encore le départ des forces américaines stationnées dans le royaume.

Les plus lus