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« Il faut craindre une baisse du dinar algérien beaucoup plus importante »

« Il faut craindre une baisse du dinar algérien beaucoup plus importante »

Brahim Guendouzi, professeur d’économie à l’université de Tizi-Ouzou, estime que le dinar algérien est toujours surévalué et dit craindre une baisse de la monnaie nationale par rapport aux principales devises « beaucoup plus élevée dans les années à venir ». 

Le projet de Loi de finances 2021 vient d’être adopté par le Parlement. Il a été élaboré dans un contexte exceptionnel marqué par la conjonction de deux principaux facteurs à savoir la récession économique et la crise sanitaire. Quelle appréciation en faites-vous ?    

Il est clair que l’économie algérienne est en récession, c’est-à-dire une absence de croissance pour cette année 2020, avec en plus une pandémie de Covid-19 dont l’évolution reste encore incertaine. Ceci implique une action volontariste de l’État  afin d’essayer de juguler cette situation, qui risque de s’amplifier, pour s’inscrire sur une trajectoire de retour de la croissance économique. Le projet de loi de Finances pour 2021 s’inscrit dans ce contexte particulier et présente une dimension inédite se traduisant par une chute sensible des recettes de l’État aussi bien au niveau de la fiscalité ordinaire et pétrolière  ainsi que des entrées  en devises liées à la chute brutale du niveau des exportations.

En revanche, il y a une relative  augmentation des dépenses de fonctionnement dès lors que les pouvoirs publics se sont engagés à faire face à la crise sanitaire qui persiste encore ainsi que ses effets sur les entreprises et les ménages. Les dépenses d’équipement vont être réduites sensiblement pour cette raison. D’ores et déjà la direction générale de budget, du ministère des Finances vient  d’adresser une note à l’ensemble  des contrôleurs financiers des wilayas, portant sur le gel du financement de plusieurs programmes et projets relevant des Programmes sectoriels centralisés (PSC), des programmes sectoriels déconcentrés (PSD) et des plans communaux de développement (PCD).

Aussi, l’énorme déficit budgétaire auquel on s’attend pour 2021 ainsi que le niveau élevé atteint par la dette interne sont sources d’inquiétude dès lors que leur financement est problématique dans la mesure où les mécanismes monétaires qui vont être mis en œuvre avec la Banque d’Algérie restent largement insuffisants. D’où la crainte d’une émergence d’une poussée inflationniste pour 2021, puisque, déjà, l’estimation avancée dans la LF serait de 4,5 %.

La valeur du dinar algérien par rapport aux principales devises (euro et dollar) ne cesse de chuter. Un euro vaut actuellement plus de 153,18 dinars et 128,35 dollars. Quelles sont les conséquences éventuelles ?

La valeur du dinar par rapport aux principales devises que sont le dollar et l’euro, reste surévaluée, ce qui accentue le déficit de la balance commerciale, qui reste aussi une autre source d’inquiétude. La dépréciation constatée de la monnaie nationale ces dernières semaines reste encore insuffisante par rapport au niveau espéré qui puisse apporter un tant soit peu une amélioration du déficit courant extérieur. Les prévisions contenues dans la LF 2021 font ressortir un recul contre le dollar américain (USD), où la moyenne annuelle devrait atteindre 142,20 DA/USD en 2021, 149,31 DA/USD en 2022 et 156,78 DA/USD en 2023. Cependant, au vu de la situation économique actuelle, il faut craindre une baisse du dinar  beaucoup plus importante pour les années à venir.

 « L’impact de la pandémie Covid-19  sur l’activité économique est considérable »

Comment évaluez-vous l’impact de la pandémie de la Covid-19 sur l’économie nationale (entreprises, chômage, croissance…) ?

L’impact de la pandémie Covid-19  sur l’activité économique dans son ensemble est considérable. Tout d’abord,  la gestion de la crise sanitaire  nécessite, à elle seule,  des ressources financières importantes pour la prise en charge de l’ensemble des  établissements de santé en termes de frais liés aux soins, à la mortalité et à la morbidité, mesures de protection, réorganisation, renforcement en personnels, etc. Le confinement de la population a amené de nombreuses entreprises à cesser toute activité. Le manque à gagner est énorme, avec comme conséquence une menace sur l’avenir de nombreuses entités économiques, particulièrement la population des PME.

L’aspect social n’en est pas moins épargné…

La retombée sur l’emploi a été immédiate dès lors qu’un grand nombre de travailleurs journaliers ou artisans se sont retrouvés sans travail et donc sans revenus. Il y a aussi d’importantes suppressions de postes de travail dans certains secteurs d’activités qui subissent directement les effets de la crise sanitaire comme les transports, le BTP, l’hôtellerie, etc. Une catégorie de travailleurs comme les ouvriers du BTP ou les saisonniers ont pu obtenir une aide directe de l’État de l’ordre de  10 000 DA pour qu’ils puissent subvenir à leurs besoins. Ensuite, une partie des artisans est privée d’activité (chauffeurs de taxi, transporteurs, restaurateurs, etc.) et l’État est intervenu aussi pour leur allouer une allocation mensuelle de 30000 DA. Un autre fait est constaté par rapport aux autres salariés qui disposent régulièrement d’un revenu mais qui ont diminué leur consommation pour un motif bien connu, celui de la précaution, car il y a une crainte des lendemains incertains.

« Les mesures en faveur des entreprises sont largement insuffisantes »

Les entreprises ont particulièrement été touchées par la crise sanitaire. Y a-t-il des mécanismes pour les accompagner durant ces moments difficiles ?   

Les mesures d’ordre fiscal, parafiscal et de financement annoncées par le gouvernement en faveur des entreprises, particulièrement les PME,  sont largement insuffisantes pour éviter à une majorité d’entre elles un dépôt de bilan. La persistance de la crise sanitaire fragilise de jour en jour les entités économiques qui voient leurs chiffres d’affaires diminuer de près de 70 %. Seules quelques entreprises résilientes car activant dans des secteurs économiques névralgiques en cette période, arrivent à maintenir une certaine activité et donc l’emploi. Aussi, ce n’est pas avec une loi de Finances qu’on pourra sauver un grand nombre de PME menacées par la faillite.

Il est peut-être opportun de lancer un véritable plan Covid-19 dont l’objectif principal est de mettre en œuvre des actions qui favorisent à la fois les ménages qui s’expriment à travers la consommation, et les entreprises qui produisent et mettent sur le marché des biens et services. Des ressources financières exceptionnelles doivent être mobilisées par l’État ainsi qu’un timing d’exécution plus une évaluation au fur et à mesure de la progression. Une récession économique doit être toujours combattue énergiquement pour qu’elle ne fasse pas « boule de neige » et rendre encore plus compliquées les mesures d’ajustement dans les années à venir.

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