Économie

Inflation en Algérie : « Comment en est-on arrivé là ? »

Dans cet entretien, l’économiste Brahim Guendouzi revient sur la dernière note de conjoncture de la Banque d’Algérie sur l’économie nationale. Il revient sur les raisons de l’inflation, le poids de l’informel, la dépendance de l’économie nationale aux hydrocarbures et ses risques, le dinar…

TSA. La Banque d’Algérie a publié dimanche sa note de conjoncture sur l’économie nationale pour les 9 premiers mois de 2022. Quels sont les principaux enseignements à tirer de cette note ? Qu’est-ce qui est rassurant et qu’est-ce qui ne l’est pas ?

Brahim Guendouzi : La Banque d’Algérie vient de confirmer des résultats monétaires et financiers globaux auxquels l’on s’attendait depuis le revirement à la hausse du marché pétrolier international et la tension autour du gaz naturel sur le continent européen durant l’année 2022.

La conjoncture énergétique favorable à l’Algérie a eu des effets appréciables du point de vue des équilibres externe et interne avec respectivement un solde positif de la balance des paiements de l’ordre de 11,8 milliards de dollars (sur 9 mois) ainsi qu’un excédent du solde global du Trésor avec 316,5 milliards de dinars.

La situation macroéconomique du pays se trouve en nette amélioration enregistrant une hausse des avoirs extérieurs de l’ordre de 26,9 % et des réserves de change d’un montant de 52,76 milliards équivalent dollars (septembre 2022), d’une part, et le fonds de régulation des recettes (FRR), alimenté par la fiscalité pétrolière, se trouvant en solde positif de près de 698,1 milliards de dinars, d’autre part.

Par ailleurs, la masse monétaire M2 a connu une progression de 10,58 % alors que le taux de croissance économique n’a été que de 2,8 % ainsi que les crédits à l’économie qui n’ont progressé que de 4,17 %, c’est-à-dire en deçà des attentes.

D’où la persistance du processus inflationniste jusqu’à aujourd’hui. Enfin, il y a lieu de faire ressortir l’importance de la circulation fiduciaire hors canal bancaire avec une progression de 10,18 % représentant 7.315,1 milliards de dinars correspondant à 33 % du total de la masse monétaire en circulation. Ce qui est indicatif du poids réel du secteur informel dans l’activité économique en Algérie.

TSA – L’économie algérienne a été sauvée, une nouvelle fois, par la hausse des prix des hydrocarbures. La balance des paiements est à nouveau excédentaire, le solde budgétaire est passé au vert. Que faut-il déduire ? Peut-on dire qu’heureusement, il y a eu cette hausse inattendue des prix du pétrole ? 

Brahim Guendouzi : L’économie algérienne repose principalement sur ses ressources énergétiques qui lui procurent l’essentiel de ses recettes en devises ainsi que la fiscalité pétrolière qui participe dans une part importante aux recettes budgétaires.

Par ailleurs, l’entreprise publique Sonatrach prévoit de réaliser près de 40 milliards de dollars d’investissements sur les quatre prochaines années pour développer ses activités tant en amont qu’en aval.

Un deuxième gazoduc Galsi vers l’Italie va être réalisé pour renforcer ses fournitures de gaz à l’Union Européenne. L’Algérie est déjà partie prenante dans le projet de gazoduc transsaharien avec le Nigeria et le Niger.

En définitif, les perspectives de l’économie mondiale sur le plan énergétique, particulièrement en matière de demande d’hydrogène vert, la confortent justement dans cette spécialisation internationale.

TSA -Cette dépendance aux hydrocarbures expose-t-elle l’Algérie à d’autres chocs pétroliers ? 

Brahim Guendouzi : En l’absence d’une diversification économique, l’économie nationale reste toujours sensible aux fluctuations des cours du pétrole sur le marché international.

À tout moment, une crise énergétique peut se déclencher pour des raisons géopolitiques, économiques en liaison avec les conjonctures et les mutations technologiques et l’évolution des marchés des biens et services, ainsi que les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance qui peuvent influer également sur la demande en hydrocarbures à l’échelle régionale et mondiale, avec des conséquences négatives sur les pays producteurs.

TSA -Malgré les mesures prises pour relancer l’investissement, les résultats peinent à se concrétiser sur le terrain…L’État doit-il actionner la commande publique pour relancer l’économie ?

Brahim Guendouzi : Avec la nette amélioration des équilibres macroéconomiques tels qu’ils ressortent dans le rapport de la Banque d’Algérie, et le nouveau cadre juridique et incitatif introduit par la loi 22-18 relative à l’investissement, logiquement l’investissement productif est appelé à être au rendez-vous.

Il en est de même pour les investissements directs étrangers dont il existe des opportunités d’affaires dans plusieurs secteurs d’activités. Aussi, est-il impérieux aujourd’hui, dans cette conjoncture favorable, d’aller au plus vite vers la diversification économique pour se mettre à l’abri dès maintenant par rapport aux risques de retournement des marchés énergétiques.

La demande publique ne pourra que contribuer à rendre la croissance économique un peu plus vigoureuse par rapport à ce qui a été obtenue en 2022.

TSA – L’inflation ne rassure pas. La hausse des prix alimentaires continue de peser lourdement sur le portefeuille des Algériens. Qu’est-ce qui explique cette hausse de l’inflation ? 

Brahim Guendouzi : La hausse généralisée des prix qui s’est amorcée depuis 2021 a fait renouer l’économie nationale avec le processus inflationniste dont les conséquences peuvent être déstabilisantes.

Selon la note de conjoncture de la Banque d’Algérie, l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation national global moyen a connu une augmentation de 9,73 % au troisième trimestre 2022, soit une progression de 1,72 point de pourcentage par rapport au même trimestre de l’année 2021.

Après ce constat, l’on s’interroge comment en est-on arrivé à cette situation et par quels mécanismes combattre l’inflation pour pouvoir en atténuer ses effets sur les agents économiques, particulièrement les ménages et les entreprises.

En effet, la poussée inflationniste de ces derniers mois se justifie par une désorganisation des circuits de distribution et la spéculation au niveau interne, la dépréciation de la monnaie nationale par rapport aux deux principales devises que sont le dollar américain et l’euro durant l’année 2021, ainsi que la hausse sensible des prix de plusieurs produits de base sur le marché international accompagnée d’une augmentation des tarifs du transport maritime.

L’inflation est évidemment source d’inquiétude et il est attendu des pouvoirs publics la mise en œuvre de mécanismes rigoureux permettant d’éviter une spirale inflationniste préjudiciable pour tout le monde.

TSA-La structure des exportations hors hydrocarbures est dominée par les demi-produits (87,9 %). Qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce que l’Algérie exporte des semi-produits pour ensuite importer des produits finis ?

Brahim Guendouzi : Les exportations hors hydrocarbures ont atteint le montant de 4,35 milliards de dollars à fin septembre 2022.

Une analyse plus fine de ces exportations fait ressortir effectivement une concentration dans des produits de base (fertilisants, solvants, ciment, acier et sucre).

Ceci est dû à la structure du tissu industriel national et à la présence de grandes entreprises qui sont déjà représentées directement ou indirectement dans des chaînes de valeur mondiales.

Au demeurant, de nombreuses PME publiques et privées se sont engagées sur les marchés extérieurs avec une large gamme de produits mais avec des valeurs insignifiantes car n’ayant pas encore atteint un effet de taille qui leur permet d’acquérir des parts de marché appréciables.

TSA – L’Algérie reste dépendante de l’étranger pour une partie de sa nourriture. Les importations des biens alimentaires, qui représentent 27 % du total des importations de biens, ont enregistré la deuxième plus forte hausse (+ 1,141 milliard de dollars) passant ainsi de 6,643 milliards de dollars à fin septembre 2021 à 7,785 milliards de dollars à fin septembre 2022, selon la Banque d’Algérie. Est-ce que cette dépendance est inquiétante ?   

Brahim Guendouzi: Les importations de biens alimentaires représentent une constante dans la composante globale des importations en raison de l’insuffisance structurelle de la production dans des filières agricoles sensibles par rapport à la consommation nationale telles que les céréales, la poudre de lait et l’alimentation du bétail.

D’autant plus que ces familles de produits font l’objet de subventions et donc de prix à la consommation soutenus par l’État. Malgré les efforts consentis dans l’agriculture afin d’améliorer le niveau de production et les rendements, les insuffisances perdurent encore, ne permettant pas de réduire sensiblement le niveau des importations.

De plus, ces deux dernières années, les montants consacrés à l’achat de l’extérieur ont sensiblement augmentés à cause de la hausse constatée des prix des biens alimentaires sur le marché international en raison de la perturbation des chaînes d’approvisionnement suscitée par la pandémie puis par le conflit militaire russo-ukrainien.

TSA- Le secteur des « hydrocarbures » a enregistré un repli de sa valeur ajoutée de 1,5 % au deuxième trimestre 2022 contre une forte croissance de 10,7 % en volume une année auparavant. Comment expliquer cette baisse ? 

Brahim Guendouzi : La seule explication est à rechercher dans le rapport d’activités de la Sonatrach pour situer à quel niveau y a-t-il eu une activité impactée.

TSA-Le dinar algérien doit-il continuer à s’apprécier face au dollar et à l’euro ? 

Brahim Guendouzi : La détérioration des variables macroéconomiques dans les pays avancés avec le niveau élevé de l’inflation accompagné par une hausse des taux d’intérêt décidée par les Banques centrales comme réponse au processus inflationniste, combinée avec l’important excédent du solde de la balance des paiements, ont fait qu’une appréciation du dinar est vite apparue à la fin du premier semestre 2022, particulièrement par rapport au dollar et à l’euro.

La Banque d’Algérie y a largement contribué grâce au processus d’ajustement qu’elle opère régulièrement en matière de taux de change.

Implicitement, l’appréciation du dinar a contribué à atténuer l’inflation importée et demeure pour la Banque d’Algérie le moyen adéquat pour influer sur la hausse des prix des biens et services, à défaut d’utiliser d’autres instruments de type monétaire.

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