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La loi du marché peut vous mener à la prison

La loi du marché peut vous mener à la prison

TRIBUNE. Depuis le début de l’ère industrielle au XVIIIe siècle, de nombreuses théories ont essayé de cerner les mécanismes économiques qui gèrent la création de richesses.

Entre les libéraux, adeptes du marché ouvert et de la liberté d’initiative, et les marxistes de toutes nuances qui recherchent l’égalité imposée par un État directif, l’équilibre est encore aujourd’hui bien fragile.

La liberté économique absolue ne peut s’exercer sans que l’inégalité ne se développe. D’un autre côté, l’égalité imposée diminuera notablement l’efficacité économique.

Une politique libérale entraîne donc de l’inégalité avec les risques de fractures sociales et de troubles politiques à la clef. Par contre une politique égalitariste stérilise l’économie et à terme détruit le pouvoir d’achat et empêche le pays de se développer.

À l’évidence, c’est une économie équilibrée, qui répond aux besoins des populations mais sans handicaper le développement de l’entreprise qui doit être recherchée.

Équation souvent très difficile à résoudre, tant les motivations et les besoins des uns et des autres sont multifactoriels, anthropologiques, sociologiques, sociaux, économiques, etc…

Pour des raisons objectives et subjectives à la fois, l’Algérie a tenté de construire son système économique, dès son indépendance, avec l’idée de contrecarrer la pauvreté et le dénuement qui frappaient la grande majorité du peuple au sortir d’une colonisation impitoyable et établir une justice sociale dont le principe avait été énoncé avec la déclaration du 1er Novembre 1954.

Durant les années 70, la centralisation étatique de l’économie avait atteint son apogée.

L’investissement dans l’industrie était quasi exclusivement réservé aux entreprises d’État et, bien entendu, le commerce international était sous monopole.

Il est aussi vrai que seul l’État était en mesure de mobiliser des capitaux, de négocier avec les multinationales, de former l’encadrement technique et administratif nécessaire à la gestion de l’entreprise.

C’était probablement, vu sous cet angle, une étape inévitable. Cependant, pour des raisons idéologiques (socialisme spécifique !) et de mentalité (formatage du personnel politico-administratif des décennies durant), le mode de fonctionnement de l’économie algérienne ne pouvait que se scléroser entraînant des dysfonctionnements invalidants.

L’élimination du marché, la négation de loi de l’offre et de la demande et la diabolisation de l’entrepreneur privé, avaient livré le champ économique au pouvoir bureaucratique et aux prix administrés.

Autrement dit, la vie économique était totalement artificielle et la valeur du travail et de sa production était « hors sol » et dévoyée.

Le penchant populiste marxisant du pouvoir avait pourtant trouvé écho auprès d’une population qui, une fois l’indépendance acquise, avait confondu liberté et absence de devoirs, autorité hiérarchique et colonialisme, entrepreneur et voleur.

De son côté, l’État devait, pour des raisons compréhensibles à cette époque, contrôler les différentes factions qui se disputaient le pouvoir. Le soutien du peuple était obtenu grâce à une politique de distribution de la rente et à un discours agressif contre la « bourgeoisie », les « capitalistes compradores » et autres « commerçants suceurs du sang du peuple ».

Peu à peu, une mentalité nouvelle s’était installée. L’esprit rentier, le refus de toute discipline face à l’autorité, le désintérêt quant à l’efficacité de l’entreprise étaient devenus une culture. Ceux qui étaient déjà adultes à la fin des années 70 comprennent le sens de ces mots.

L’entreprise privée, quelle qu’elle soit, était, dans l’inconscient collectif, assimilée à une entité illégitime et ses propriétaires jugés, a priori, malhonnêtes.

Depuis cette époque, le temps est passé. La phase consumériste des années 1980 (à la charge du Trésor public) avait fini par faire culbuter le pays dans une décennie dramatique, celle des années 1990, puis dès les années 2000, l’élimination du terrorisme et l’embellie financière, grâce au pétrole, ouvrirent la phase « orgiaque » du régime déchu.

En 2020, après plus de 60 années d’indépendance, le bilan est court : sans le pétrole, le gouvernement ne pourrait payer ses fonctionnaires ni distribuer des subventions dans tous les sens.

Notre PIB ne représente qu’une fraction de notre potentiel réel et l’ensemble du système productif est encore anémique. Les circuits bancaires sont sous-développés et dans tous les secteurs, la bureaucratie (et la corruption qui lui est annexée) étouffe et tue les initiatives.

Les jeunes sont découragés et souvent leurs ambitions se transforment en enfer lorsqu’ils se laissent prendre dans les rets des organismes censés encourager l’investissement. Toute notre vision de l’économie est irrationnelle et déraisonnable.

Il faut reconnaître qu’un diagnostic réaliste avait été posé par le chef de l’État en 2020 et que les grands axes du développement avaient été remis au goût du jour : la loi sur l’investissement a été revue, un programme d’investissement conséquent a été lancé, la limitation de l’importation anarchique avec surfacturation a été instaurée…

Malheureusement, l’économie mondiale, à la suite de la pandémie du Covid19, est entrée dans une crise profonde, une récession accompagnée d’une inflation généralisée.

De plus, chez nous, les bonnes dispositions politiques ne se sont pas toujours traduites de façon efficiente sur le terrain. De nombreux secteurs sont encore gérés sur la base de principes confus et d’une vision chaotique. Tel a été le cas du secteur du commerce, objet de cette publication, domaine pourtant excessivement sensible.

La limitation drastique et brutale du commerce international a fait beaucoup de mal à nos opérateurs, déstabilisant pour longtemps le circuit commercial en interne mais aussi les rapports de confiance avec les fournisseurs étrangers.

Sur toutes les places internationales, les négociants algériens sont maintenant maltraités, y compris chez des pays dits « amis ». La perte de crédibilité dans les circuits bancaires a réduit nos opérateurs à des bricoleurs et à des « beznassias » à travers les frontières.

Le phénomène du « cabas » avec son lot de corruption est devenu insupportable. Les pénuries refont surface. Le malaise chez tous les opérateurs est palpable, tous angoissés par une « descente » à l’improviste des fonctionnaires du commerce, des caisses sociales ou des impôts, ou d’une enquête judiciaire à la suite d’une transaction notariée.

Loi du marché : « Un État injuste entraîne de la rancœur »

La politique de dissuasion, de manière brutale fait peur. Pourtant les gains financiers d’une telle politique ne compensent en rien les dégâts psychologiques chez l’ensemble des opérateurs économiques, ce qui a, évidemment, des répercussions néfastes sur le climat des affaires.

Il est vrai que le commerce, depuis l’importation jusqu’au petit négoce de détail en passant par la fabrication et la grossisterie, est anarchique.

Il est vrai que chacun trafique à qui mieux pour augmenter ses marges bénéficiaires dont une bonne partie circule dans l’informel. Le problème est réel, ses causes profondes et ses symptômes chroniques.

Il faut revoir l’ensemble de l’architecture de notre économie. Ce ne sont pas des mesures partielles, aussi draconiennes qu’elles puissent être, qui rétabliront les grands équilibres économiques.

Une loi répressive doit venir en complément d’une conception plus réaliste du fonctionnement du marché et non pas en une nouvelle inquisition entre les mains d’une bureaucratie tatillonne.

Bien sûr, des mesures importantes devaient être prises. Des sanctions dissuasives doivent suivre. Cela est dans les normes. À condition bien sûr de mettre en place, par ailleurs, un climat des affaires commerciales serein et transparent et de sanctionner ceux qui le méritent de manière impartiale et juste.

Or, la loi sur la spéculation adoptée en décembre 2021 (loi N° 21-15) a introduit dans la gestion de ce secteur, non seulement des confusions déplorables, une déstabilisation des rapports entre les commerçants et l’administration, mais surtout de gravissimes injustices que subissent de trop nombreux concitoyens.

Par ma position de chef de parti, j’ai eu l’occasion de recevoir de nombreux citoyens venus solliciter de l’aide pour rétablir des proches à eux, emprisonnés et condamnés pour de trop nombreuses années, dans leurs droits.

Pour certains, leurs proches avaient commis quelques infractions, pour d’autres, ils ont été nettement victimes d’un emballement des autorités locales en charge de ce dossier. La politique était devenue plus importante que la justice dans le traitement de ces dossiers !

J’ai entre les mains de nombreux procès-verbaux qui relèvent parfois des infractions mineurs, d’autre fois ils ont été, à l’évidence, établis en dehors de toute règle juridique légitime.

Les accusés, des jeunes, parfois universitaires, des pères de famille, des hommes et des femmes honorables qui n’avaient rien à se reprocher ou si peu, et se retrouvent condamnés à 7 ou 10 ans de prison.

Leur vie et celle de leurs familles seront détruites à jamais sans que ces punitions ne servent à quoi que ce soit dans la solution des problèmes du marché. Un coup d’épée mortel dans l’eau !

À Jil Jadid, nous ne sommes ni enquêteurs, ni un appareil en mesure d’être juge, cependant, à l’évidence, trop de nos concitoyens vivent une profonde injustice sans aucun moyen de recours.

Des accusations à tort et à travers faites dans des conditions qui ne répondent en aucune manière aux dispositions de la loi sont en train de broyer des citoyens qui ne méritent pas ce sort.

Là où il fallait un avertissement, une simple amende ou à la limite une saisie de marchandise, ils ont eu droit à un emprisonnement de 10 ans ! Le préjudice financier pour l’État et/ou le consommateur est parfois ridiculement bas par rapport à la punition destructrice.

Un État injuste entraîne de la rancœur, de la frustration sinon de la haine chez les citoyens. L’emballement opportuniste de certains agents exécutifs de l’État peut causer de très graves préjudices à la cohésion nationale, peut-être à petite échelle pour le moment mais qui pourrait devenir menaçant à terme.

Au lieu de trouver des solutions de fond, et structurelles pour corriger un dysfonctionnement du marché, certains responsables à la recherche de faveurs politiques, avaient préféré réaliser des opérations médiatiques et populistes.

La question est là : veut-on construire une Algérie dont l’économie est productive, efficace et répondant aux normes modernes ou voulons-nous seulement faire des opérations coup de poing pour gagner des galons ?

Dans le premier cas, nous avons besoin d’entrepreneurs, de liberté d’action, d’assurances garanties par l’État et la protection d’une loi, sévère s’il le faut mais juste.

Dans le second cas, cela ne peut qu’éroder l’autorité des pouvoirs publics et les pousser, en retour, à plus de répression. Tout le monde sera perdant.

Depuis la nuit des temps, le marché se régule par le duo offre-demande. La régulation du marché se fait par une production suffisante, parfois complétée par de l’importation.

Le gouvernement est là pour synthétiser les données du marché et influencer son évolution par la fiscalité, les incitations à l’investissement et plus généralement par la régulation.

Les lois et les règles doivent être claires et assimilées par tous les opérateurs. Cela exige aussi de la pédagogie. Le citoyen doit être rassuré, ce qui l’amène à coopérer avec son État.

Lorsque le gouvernement se défausse de sa responsabilité de l’échec de sa gestion en punissant à tour de bras de simples commerçants sans distinction sérieuse et avérée entre des délits mineurs et majeurs, et sans prendre la mesure des conséquences humaines dues à des interventions intempestives d’agents d’exécution mal formés ou même malintentionnés, les retombées politiques négatives seront inévitables.

Je voulais par cette contribution attirer l’attention des pouvoirs publics sur des conduites de l’administration gouvernementale en général. Il faut absolument revenir aux standards de la raison mais aussi de la morale et enfin de l’intelligence. Les motivations purement politiciennes sont de très mauvaises conseillères.

J’ose espérer que le président de la République, dernier recours pour ces compatriotes en grave difficulté trouveront en lui une oreille attentive et magnanime. Le peuple a aussi besoin de compassion.

*Président de Jil Djadid


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