Économie

La saga des fraises de Tipaza

C’est au milieu des années 1970 qu’à Tipaza démarre timidement la culture des fraises.

Quelques années plus tard, des ouvriers agricoles persistent et trouvent les techniques adaptées.

Grâce à l’obstination de ces pionniers, la production de fraises atteint aujourd’hui 350 000 quintaux.

Quand Meziane Boukraouene parle de l’agriculture à Tipaza, il ne manque pas de vanter la proximité de la mer.

Sur la Télévision algérienne, il explique que cette situation géographique évite le risque de gel et maintient toute l’année une température favorable aux cultures. La région bénéficie également de sols fertiles.

| Lire aussi : Comment l’Algérie tente de faire face au problème du manque d’eau

Ce cadre de la Chambre d’Agriculture, à la longue expérience, parle avec une immense fierté de la culture de fraises. Plus que l’énoncé d’une suite de chiffres, il se livre à une analyse fine des pratiques agricoles et des nouveaux modes de consommation.

La fraise de Tipaza, toute une histoire

Quand on l’interroge, il explique que « la fraise à Tipaza c’est toute une histoire. En 1978, dans les domaines de l’État, le ministère de l’Agriculture a introduit la culture sur quelques hectares ».

L’initiative n’est pas un franc succès : « Les agriculteurs n’avaient aucune expérience et les techniques étaient rudimentaires ».

Il faut attendre 1988. « Après la restructuration de ces domaines, des ouvriers agricoles qui avaient participé à cette introduction ont repris le flambeau. À l’image de Hadj Abdoune, Hadj Titouche », confie-t-il.

Des agriculteurs passionnés. Il poursuit : « Quand ils ont reçu la gestion de parcelles de terre, ils ont immédiatement repris cette culture ». À cette époque, on ne comptait que 10 à 20 hectares de fraises dans la région.

Apparition du goutte à goutte

Peu à peu, ces agriculteurs ont appliqué de nouvelles techniques. L’irrigation par submersion a laissé la place au goutte à goutte.

« Le rendement a alors augmenté. Ce qui a attiré de nouveaux agriculteurs. Puis ils ont planté les fraises sur des buttes de terre, ce qui permet de réduire les maladies », témoigne Meziane Boukraouene.

Mieux, ils ne s’arrêtent pas là : « Ils ont recherché de nouvelles variétés de fraises, celles qu’ils utilisaient étaient dépassées. Ce qui a permis de nouvelles augmentations de rendement ». C’est alors que commence l’âge d’or de la fraise de Tipaza.

Une cinquantaine d’hectares durant les années 2000

Dans les années 2000, les surfaces atteignent une cinquantaine d’hectares de fraises et les techniques progressent encore.

« Cela a entraîné la demande. À l’époque le prix des fraises était très élevé, il fallait compter 1 000 DA le kilo. Mais le rendement et la production ont encore augmenté et les prix ont alors baissé », analyse ce spécialiste.

Fier du chemin parcouru, il ajoute : « On était à 64 hectares en 2011. Aujourd’hui on estime les surfaces à 900 voire 1.200 hectares. Les superficies ont été multipliées par 12. Chaque année les surfaces doublent ».

La pandémie liée au Covid 19 qui a frappé l’Algérie et le monde entiter a quelque peu perturbé la production : « Mais on peut affirmer qu’aujourd’hui Tipaza est la première région du point de vue des surfaces », ajoute-t-il.

Les producteurs à l’affût de nouvelles variétés

Quand l’animatrice le questionne sur les variétés utilisées, Meziane Boukraouene cite : « Splendeur, Camarosa, Nabila, Canesa. Il y en a une douzaine actuellement utilisées ».

Il lance alors une invitation pour constater de visu : « Chaque année nous organisons une foire de la fraise. Si vous venez vous verrez qu’il y a plus de 15 variétés différentes utilisées ».

Les producteurs ne se contentent plus des anciennes variétés de fraises et sont à l’affût de ce qui se fait de mieux à l’étranger. Ils n’hésitent pas à s’approvisionner aux États-unis, en Espagne ou en Italie.

Une production locale de plants

Le cadre de la Chambre d’agriculture ajoute qu’une production locale de plants de fraises se développe.

Les fraisiers produisent des tiges rampantes qui s’enracinent à quelques centimètres du pied mère. Aussi, la production de plants par voie végétative est possible.

Aujourd’hui des producteurs se sont lancés dans la production locale de plants afin de s’affranchir des importations. Une pratique qui ne peut cependant faire l’impasse sur les techniques in vitro, seul moyen d’obtenir des plants sains.

Augmentation des rendements et formation

Quant à l’avenir de la production de la fraise à Tipaza, Meziane Boukraouene insiste sur la maîtrise technique : « La production de fraises n’est pas chose facile, concède-t-il. Il y a les maladies et des frais considérables ».

L’évolution des rendements par hectare a de quoi faire rêver les producteurs de blé : 110 quintaux dans les débuts puis 200 quintaux en 2015 et 300 à 350 quintaux aujourd’hui. À raison de 1 000 hectares à Tipaza, c’est une production de 350 000 quintaux qui est annoncée.

Ce succès est lié à ce produit de rente mais aussi aux formations organisées depuis 2010 par la Chambre d’agriculture : engrais solubles, lutte contre les maladies, goutte à goutte.

« La production de fraises est délicate, un détail peut compromettre la culture », précise Meziane Boukraouene. Il ajoute : « À Tipaza, avec le climat, l’eau et la technique tout est possible ».

L’export concurrencé par le marché local

Concernant l’exportation de la fraise par l’Algérie, ce spécialiste est dubitatif et argumente : « Il faut tenir compte qu’aujourd’hui le consommateur algérien ne se contente plus comme dans les années 1970 d’un simple verre de soda comme dessert ».

Il poursuit : « À l’époque, le consommateur algérien n’allait pas vers les fruits car ils étaient chers. Aujourd’hui, avec l’augmentation de la production ce n’est plus le cas. Il va vers les fruits car le niveau de vie a augmenté ».

Il donne l’exemple de l’emploi féminin et des ménages dont beaucoup possèdent aujourd’hui une automobile.

Aussi explique-t-il, avec 46 millions d’habitants, la demande en fraises en Algérie est importante d’autant plus que leur prix est devenu abordable. « Nous n’avons pas les moyens pour satisfaire à la fois le consommateur local et l’export », conclu Meziane Boukraouene.

De par leur situation géographique particulière, ces producteurs pourraient être en mesure d’édicter un cahier des charges afin d’obtenir le label « Fraises de Tipaza ».

Les plus lus