Économie

L’Algérie a-t-elle renoncé à la liberté du commerce extérieur ?

Depuis quelques années, le commerce extérieur de l’Algérie fait l’objet de nombreuses restrictions, dont certaines sont décrétées à coup de notes de l’Association des banques et établissements financiers (Abef).

Un état de fait qui a fait réagir le Cercle de réflexion sur l’entreprise (Care), un think-tank algérien qui s’intéresse au monde de l’économie et de l’entreprise.

La dernière note en date de l’Abef remonte au 24 avril dernier et fait part d’une nouvelle procédure par laquelle la domiciliation des opérations d’importation doit requérir une autorisation préalable de l’Agence algérienne de promotion du commerce extérieur (Algex).

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Celle-ci doit s’assurer d’abord que le produit à importer n’est pas fabriqué localement. Beaucoup parmi les nombreuses restrictions sur les importations ces dernières années sont passées par ce canal de l’Abef et c’est sur ce procédé que s’interroge le CARE, nonobstant les retombées de la mesure sur « l’approvisionnement du marché national en biens finis, en intrants et matières indispensables pour les producteurs et investisseurs, de même que pour les clients ».

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« S’agissant d’une orientation aussi importante que les autorités souhaitent imprimer dans la durée à la politique nationale en matière de commerce extérieur, le dispositif de mise en œuvre gagnerait à tous égards à être établi de manière ouverte, transparente et sur des bases légales claires et indiscutables », écrit le think-tank dans une note intitulée : « L’ABEF est-elle habilitée à intervenir dans la gestion du commerce extérieur ? ».

Rappelant que la loi bancaire en vigueur dispose que la Banque d’Algérie est l’unique régulateur du secteur bancaire, le Care souligne qu’un « courrier destiné à l’Abef ne fait pas partie des instruments de mise en œuvre de la politique publique, tels que prévus dans l’édifice juridique algérien ».

Pour le Care, ce recours à des « voies détournées », n’est pas la bonne méthode, expliquant que « cela contribue plutôt à créer une atmosphère d’incertitude,  dans la mesure où ce qui a été instauré par des instruments aussi fragiles pourra, demain, être abandonné de manière tout aussi intempestive ».

« Un tournant majeur »

C’est précisément, lit-on encore dans le communiqué du Care, ce genre de situation que dénoncent les investisseurs qui se plaignent de l’instabilité juridique en Algérie.

« Le passage par l’Abef est symptomatique de cette dérive : les banques se retrouvent transformées en censeurs de l’activité de leurs entreprises clientes, là-même où elles sont censées en être les conseillers financiers et les accompagnatrices », assène le think tank algérien.

Au-delà de cette entorse aux formes, le think-tank soulève un important problème de fond et parle d’un « tournant majeur dans la politique commerciale externe suivie jusque-là par notre pays ».

Ce tournant concerne ce qui ressemble à une remise en cause de la libéralisation du commerce instituée depuis une trentaine d’années avec le passage de l’Algérie de l’économie dirigée à l’économie du marché.

La mise en place d’une procédure fermant le marché interne à tout produit fabriqué localement « tourne ouvertement le dos au principe de liberté de commerce posé depuis le milieu des années 1990 », estime le Care.

Le Cercle de réflexion sur l’entreprise cité notamment l’article 2 de l’ordonnance 03-04 du 19 juillet 2003 qui dispose en qu’ « en dehors des produits touchant à la sécurité, à l’ordre public ou à la morale, les transactions à l’importation et à l’exportation s’exercent librement ».

S’agissant d’un « changement d’orientation substantiel », le cercle de réflexion estime que cela doit être accompagné d’un changement de législation, afin de « garder au cadre régissant le commerce extérieur sa cohérence et sa pleine conformité à l’état de droit », et la mise en œuvre d’une telle nouvelle politique se doit d’être « affichée à travers un texte réglementaire d’application (décret ou arrêté) qui soit promulgué au préalable au Journal officiel, et non pas au détour d’un courrier adressé par inadvertance à une association bancaire ». 

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