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L’Algérie et les mirages de l’agriculture saharienne

L’Algérie et les mirages de l’agriculture saharienne

L’Algérie mise sur l’agriculture saharienne pour augmenter sa production de céréales afin de réduire sa dépendance vis-à-vis de l’étranger et assurer sa sécurité alimentaire, mais cette orientation stratégique pose de nombreux défis.

Lors de l’ouverture d’un colloque à Sétif consacré à la production laitière, Hamid Ben Saad, le secrétaire du ministère de l’Agriculture et du Développement rural, a rappelé l’importance accordée par l’Algérie à l’agriculture saharienne.

Selon l’agence APS, il a indiqué que « la prochaine stratégie du secteur repose sur la transformation de la carte générale de l’agriculture et l’évolution vers une agriculture désertique en impliquant le sud ».

L’agriculture saharienne présente des inconvénients, notamment des besoins considérables en financement et une utilisation massive des eaux souterraines.

Se pose ainsi la question de sa durabilité dans la mesure où les réserves souterraines en eau se renouvellent faiblement et que l’attrait des investisseurs ne dépend que du niveau des subventions publiques qui leur sont accordées.

Vers un million d’hectares au sud

L’objectif affiché du ministère est d’attribuer un million d’hectares de concessions agricoles dans le sud de l’Algérie avec l’espoir de rendements de 70 à 80 quintaux de blé et ainsi de produire 80 millions de quintaux.

Les investisseurs sont nombreux à postuler à travers le portail électronique mis à leur disposition par l’Office de développement de l’agriculture saharienne (Odas).

Ce type de développement agricole désigné sous le vocable de Ground Water Economy fait l’objet de nombreuses études à travers le monde. L’Arabie saoudite a arrêté ce type de production suite à l’assèchement des nappes souterraines du pays. D’une capacité de 2.175 milliards de m3, leur recharge est très limitée, à peine 2.700 millions de m3/an en provenance des hauteurs du Hejaz.

En Égypte, les projets pharaoniques en cours se basent sur la dérivation d’une partie des eaux du Nil afin d’irriguer de larges portions de désert. Une eau qui, cependant, doit être partagée entre l’Éthiopie et le Soudan voisin. Dans le sud-ouest des États-Unis et en particulier en Californie, l’exploitation de l’eau du fleuve Colorado est telle qu’aujourd’hui il n’atteint pratiquement plus son embouchure au Mexique.

Faible niveau technique des investisseurs

De nombreux investisseurs postulants pour l’attribution de concessions agricoles dans le sud de l’Algérie sont éloignés du monde agricole et ne possèdent pas les compétences agronomiques nécessaires.

La situation est telle que le ministère pense à développer des échanges d’expérience entre anciens et nouveaux investisseurs. Que ce soit pour l’agriculture au sud ou au nord, à ce jour il n’existe pas de revue technique à l’usage des agriculteurs ni de revues étrangères disponibles.

L’année dernière, l’ingénieur agronome Zakaria Alam installé à Menea a eu l’occasion de souligner auprès d’Ennahar TV le faible niveau technique de certains investisseurs, notamment à propos du non-respect du calendrier d’apport d’engrais azotés.

Un minimum de connaissances techniques et de moyens matériels est indispensable pour atteindre un rendement de 50 quintaux afin de couvrir les charges. Des charges liées à l’achat du matériel, au paiement des factures d’électricité et des engrais transportés sur 1.500 km depuis Alger ou Annaba.

Espérer atteindre un rendement de 80 quintaux exige que soient maîtrisés de nombreux paramètres : choix variétal, niveau des doses de semis, programme de désherbage et de fertilisation.

Enfin, que face au risque d’égrainage, la récolte doit être réalisée à temps. Dans les conditions arides du sud, il suffit d’une tempête de sable ou qu’un pivot tombe en panne quelques jours pour que la récolte soit irrémédiablement compromise.

Agriculture saharienne : utilisation massive de l’eau souterraine

Quand à force de tâtonnement le niveau de maîtrise progresse, il faut compter avec les handicaps du milieu naturel. La plupart des sols sahariens sont squelettiques et se situent sous 1 % de matière organique. Une situation qui fait que ni l’eau ni les engrais ne sont correctement retenus. La seule solution passe alors par la majoration des apports d’où une sur-fertilisation obligatoire.

Dans un environnement aride, les volumes d’eau à apporter sont considérables. « Les pivots fonctionnent nuit et jour », confiait récemment à TSA un président de Chambre d’agriculture.

L’utilisation d’eau est d’autant plus importante qu’après la récolte de blé, une culture de maïs est généralement implantée et est arrosée durant tout l’été.

Or, en différentes zones du sud, une baisse du niveau de la nappe est constatée. Pour qu’une telle agriculture soit durable, un contrat de nappe devrait obliger les investisseurs à réduire leur prélèvement d’eau en cas de trop fort rabattement de la nappe.

Mais les prélèvements sont actuellement hors de contrôle. Au nord, l’exemple de la wilaya de Tiaret est significatif. En hiver dernier, au début de la sécheresse, plus d’un millier d’autorisations de forage ont été accordées aux agriculteurs.

Par la suite le wali a dû recevoir de nombreuses délégations d’usagers des villes se plaignant de ne pas avoir d’eau au robinet. Après visite sur le terrain, il est apparu que les agriculteurs qui avaient reçu une autorisation de pompage de 3 litres par seconde avaient surdimensionné leur installation et prélevaient en fait 10 à 15 L/seconde.

Par ailleurs, pomper de l’eau présente un coût. Au sud, Zakaria Alam conseille aux investisseurs potentiels de bien se renseigner à propos du niveau de la nappe avant d’accepter toute concession agricole.

Car, fait-il remarquer, si pomper de l’eau à une dizaine de mètres ne pose pas de problème, pomper à une centaine de mètres se traduit par une facture d’électricité exorbitante.

Enfin, l’eau des nappes est souvent saumâtre et contient entre 2 à 8 grammes de sel par litre. Dans les cas extrêmes, au bout de la 5e campagne d’irrigation, le sol est définitivement stérilisé du fait d’une trop forte accumulation de sel.

Algérie : l’agriculture du nord délaissée ?

De façon paradoxale, en 2023, avec une production moyenne d’un million de quintaux de blé, l’agriculture saharienne a sauvé la future campagne céréalière.

Face à la sécheresse au nord, les agriculteurs auraient pu se retrouver sans semences. C’est le blé produit au sud et rapatrié par l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) qui aura permis de compléter l’approvisionnement du nord.

La sécheresse qui a touché les agriculteurs lors de la campagne écoulée a été d’une rare violence. De nombreux agriculteurs n’ont rien moissonné. Dans les wilayas de Tiaret, Annaba et Tarf, des agriculteurs ont exprimé leur désarroi.

Les indemnisations en cours vont leur permettre de relancer un cycle de culture mais en aucun cas elles ne les mettent à l’abri du risque d’une nouvelle sécheresse.

Face aux mirages de l’agriculture saharienne, les agriculteurs du nord semblent parfois être délaissés. Certes, comme chaque année, ils ont bénéficié en 2022 de subventions sur les semences et les engrais mais rien concernant la façon de s’adapter à l’actuel dérèglement climatique et réduire le coût élevé d’implantation de leurs cultures.

Lors de son intervention, Hamid Ben Saad a évoqué « la réorientation de la carte des cultures dans le nord du pays et l’orientation vers les zones propices à la production pour éviter le gaspillage des semences et autres intrants ».

On ne note cependant aucun retour d’expérience concernant les techniques nouvelles de dry-farming qui se développent à l’étranger au niveau d’organismes internationaux tel le Centre international de recherche agricole dans les zones arides (Icarda) dont pourtant l’Algérie est membre.

Des techniques basées sur la suppression du labour avec plus d’utilisation des chaumes contre l’érosion du sol suite à des orages devenus de plus en plus violents.

Rien également concernant les moyens d’emblaver plus de surfaces à moindre frais comme le permettent aujourd’hui les techniques simplifiées de travail du sol.

Au niveau national si l’enjeu est de relever les rendements, il s’agit également de dépasser l’actuel niveau des emblavements en céréales : seulement 1,8 million d’hectares contre un potentiel de 3 millions d’hectares.

De par sa superficie, l’Algérie dispose de territoires agricoles diversifiés. Le challenge pour les services agricoles est d’orienter les agriculteurs à les utiliser de façon complémentaire et durable.

Pour cela, la filière céréales algérienne dispose d’un potentiel humain encore insuffisamment exploité. À l’image de l’agriculteur Mohamed Haroun qui milite pour le développement de la culture de luzerne pour restaurer la fertilité du sol ou de ces ingénieurs d’Aïn M’lila qui ont mis au point une herse étrille permettant le désherbage mécanique du blé et des légumes secs.

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