Économie

Le patrimoine génétique agricole et animal algérien en danger

Ces 5 dernières années au niveau des marchés à bestiaux, un grand effectif de moutons de notre cheptel porte des taches de couleur noire au niveau de la tête et des pattes. »

Selon le vétérinaire Salim Kebab, ces taches sont le signe d’un mélange entre races de moutons. La création d’une banque de gènes constitue un rempart contre cette dérive génétique des espèces animales ou végétales en Algérie.

Risque de lessivage génétique du mouton d’Ouled Djellal

Ce vétérinaire confiait en novembre 2021 au quotidien El Watan qu’ « un grand danger menace actuellement notre patrimoine génétique, notamment l’espèce ovine qui est le premier capital du pays en termes de ressources animales : c’est le lessivage génétique. »

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Ce métissage est lié à des croisements incontrôlés entre moutons de race Ouled Djellal à la toison blanche et moutons de race Sardi d’origine marocaine.

Si des croisements de type industriel peuvent avoir lieu entre deux races de moutons, c’est uniquement pour obtenir des agneaux de meilleur poids qui sont systématiquement destinés à l’abattage.

Variétés algériennes, des caractères recherchés à l’étranger

Depuis 2014, dans les Cévennes (France), l’atelier de Julien Tos produit des pâtes alimentaires. Dès le début, il a convenu d’utiliser une variété de blé dur réputée pour ses qualités pastières : Bidi 17. Une variété algérienne qui dans des essais ne présente que 5% de mitadinage quand les autres variétés sont à 80%.

Les variétés locales Hedba3, Mohamed ben Bachir et Bidi17 disposent d’autres particularités mises en évidence par le chercheur Tahar Hazmoune. Des particularités qui contribuent à la résistance à la sécheresse : la longueur de leur coléoptile.

Le professeur Aïssa Abdelguerfi de l’Ecole nationale supérieure d’agronomie explique l’intérêt de cette particularité dans le cas de semis à la volée : « Les graines à faible profondeur germent avec peu de pluie, mais en cas de sécheresse hivernale, elles meurent. Les graines en profondeur ne germeront qu’à de fortes pluies. Cela constitue une assurance contre la sécheresse. »

Ce caractère est aujourd’hui une des stratégies employées en Australie : insérer le gène conférant un long coléoptile aux variétés de blé australiennes.

Le sélectionneur Greg Rebetzke indique que le gène de nanisme Rht18 a été trouvé au niveau de la variété de blé dur italien, Icaro. Des blés italiens, dont Aïssa Abdelguerfi reste sceptique quant à leur origine réelle.

« Les blés dits italiens très appréciés ne sont que des dérivés de la variété Mohamed Ben Bachir, dont seuls quelques caractères ont été légèrement modifiés selon un améliorateur italien de Bari. Ces légères modifications ont été faites pour que les Algériens ne réclament pas un droit de propriété », explique-t-il.

Banque de gènes, des promesses qui datent de 2007

L’idée d’une banque de gènes date de 2007. En juillet 2009, lors d’une session de la commission de coopération agricole algéro-égyptienne, le média Algerie-dz.com rapportait l’intérêt de l’Algérie pour l’expérience égyptienne. Harrag Abdelmalek, cadre au ministère de l’Agriculture et du Développement rural (MADR) déclarait au Caire : « Le pays est en phase de créer une banque de gènes végétaux et animaux, tout en procédant à la formation des experts dans ce domaine et, dans ce sens, l’expérience égyptienne en la matière pourrait nous aider. » Un mémorandum d’entente entre l’Institut national de recherche agricole d’Alger (INRA) et le Centre de recherches agricoles d’Egypte est alors signé.

Dès mars 2013, le ministre de l’Agriculture installe un comité sectoriel de valorisation des ressources génétiques et déclare alors que « l’enjeu est très important ».

La question des ressources génétiques est l’une des questions centrales de la sécurité alimentaire en Algérie. Hamid Hamdani, alors sous-directeur de la protection des patrimoines au ministère de l’Agriculture, a insisté sur le fait que la maîtrise des ressources génétiques est une condition sine qua non pour assurer la sécurité alimentaire de l’Algérie.

Cinq années plus tard, Abdelkader Bouazghi, ministre de l’Agriculture, déclare vouloir réactiver le projet d’une banque algérienne de gènes.

2021, relance du projet de banque de gènes

Il faudra attendre octobre 2021 pour que le projet soit relancé. Une relance qui se manifestera par une visite de terrain d’Abdelhamid Hemdani, alors ministre de l’Agriculture et du Développement rural.

Le siège de la banque de gènes sera installé dans la Mitidja. Une fois les plans établis, le béton est rapidement coulé. Le ministre inspecte alors les bâtiments dont le taux d’avancement avoisine 70%.

Il confie à l’agence officielle APS que « tous les obstacles financiers et techniques à l’origine de l’arrêt de ce projet ont été levés. »

La mise en service de cette banque devrait être concrétisée en 2022. Il précise que « son département ministériel œuvre actuellement à récupérer toutes les semences d’origine algérienne se trouvant dans les banques de gènes internationales. »

Un projet sur le point d’aboutir

Le rapport 2021 de l’indice d’agro-biodiversité en Méditerranée note que si pour l’Algérie la conservation de la diversité des espèces végétales est relativement élevée par rapport à d’autres pays,  « les plantes sauvages utiles et la diversité variétale sont peu représentées dans les banques de gènes et les jardins botaniques. »

Récemment, sur les ondes de la Radio algérienne, le ministre de l’Agriculture, Abdelhafid Henni, a indiqué que « le projet de la banque de gènes est sur le point d’aboutir. » « Nous avons présenté le projet aux plus hautes autorités de l’État », a-t-il dit.

Ces hésitations auront certainement joué dans le choix de l’Institut international de recherche agronomique des régions arides (ICARDA) pour relocaliser sa banque de gènes auparavant située à Alep (Syrie). C’est le Maroc qui a été choisi. La banque de gènes a été inaugurée le 18 mai dernier à Rabat.

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