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Les islamistes peuvent-ils prétendre à une majorité à l’APN ?

Les islamistes peuvent-ils prétendre à une majorité à l’APN ?

Mansour Kedidir, politologue

Les Algériens sont appelés aux urnes le 12 juin pour élire les députés de l’Assemblée populaire nationale.

Dans cet entretien, le politologue Mansour Kedidir revient sur le contexte de cette élection, anticipe une défaite du duo FLN-RND, et une assemblée hétérogène, évoque les chances des partis islamistes de remporter la majorité et la position des partis dits démocrates de l’opposition de boycotter le scrutin et leur poids sur la scène politique.

La campagne électorale pour les législatives du 12 juin amorce sa dernière ligne droite. Comment avez-vous trouvé les discours des candidats et des chefs de partis en lice ?

Un nombre important de citoyens ne suit pas le déroulement de la campagne électorale, tellement ils sont happés par leur quotidien devenu difficile à supporter de nos jours.

Pour l’observateur avisé de la scène politique, le discours des candidats se caractérise par une platitude à la limite de la médiocrité. La teneur dénote une pauvreté certaine et la locution frôle celle de la rue.

Jamais, les gens n’ont été aussi révulsés par la prestation des candidats. Quant aux discours des chefs de partis, un verbiage stérile, ils semblent ne pas déroger à la tendance générale.

Dans une théâtralisation ratée, ils dérivent plus vers le burlesque. Devant ce constat amer, du reste partagé par l’opinion publique à travers les réseaux sociaux, on est amené à s’interroger sur la vacuité des programmes électoraux pour situer le niveau de conscience politique de candidats attirés plus par la recherche d’un quelconque privilège.

Faut-il, dans ce cadre, poser la question de notre responsabilité collective de ce qui va advenir de la future Assemblée populaire nationale ?

Comment expliquez-vous les dérapages verbaux dont ont fait preuve certains candidats et chefs de partis ?

La loi est claire dans le cas des dérives langagières tenues lors de la campagne électorale. Dès lors, il appartient à l’Autorité nationale de surveillance des élections (Anie) d’exercer ses attributions en la matière et ne point se limiter à des interventions et des rappels à l’ordre d’une manière timide.

Il faut souligner aussi que cet organe n’est pas le seul à veiller sur les règles d’éthique à préserver dans le discours. L’Autorité de régulation de l’audiovisuel (Arav) est habilitée aussi au respect des prescriptions relatives aux prestations des candidats relayées par différentes chaînes de télévisions nationales.

Devant les dérapages verbaux des candidats partagés par les internautes, tout porte à croire que les deux Autorités se sont abstenues d’intervenir dans le dessein de laisser faire le spectacle pour briser le froid qui caractérise l’actuelle campagne électorale.

Au vu de cette campagne et de la qualité des candidats en lice, comment voyez-vous la configuration de la prochaine APN ? 

La future Assemblée populaire nationale (APN) sera hétérogène. On n’assistera plus à une majorité écrasante des deux partis le FLN et le RND, mais à un équilibre des sièges entre les différentes formations et les indépendants.

Cela signifie que devant la perte des sièges du FLN et du RND, suite à leur décrépitude dans le paysage politique national, ce sont les partis islamistes qui monteront en nombre sans pour autant constituer une majorité écrasante.

De ce fait, les formations partisanes auront à composer avec les indépendants. Le marchandage politique qui s’ensuivra facilitera la tâche du gouvernement qui pourra jouer sur les divisions de l’Assemblée pour faire passer ses textes de loi sans contrôle contraignant.

« Une kermesse tenue au milieu du désert »

Cette campagne électorale s’est déroulée dans un climat de désaffection générale de la population. Quel est votre pronostic concernant le taux de participation  ?  

Dans un contexte de crise économique et sociale, aggravée par un climat politique délétère, le citoyen algérien est désenchanté devant la campagne électorale.

Pour la plupart, embourbée dans une précarité qui ne dit pas son nom, se cuirasser de passivité et de désintérêt des affaires de la cité est le seul moyen qui lui reste pour préserver sa dignité.

Échaudé durant de longues décennies par la même farce électorale, il s’est réfugié dans l’abstention, devenue lors des deux derniers scrutins une réaction normale et légitime.

Manifestement, les élections législatives du 12 juin connaîtront un taux d’abstention qui pourrait dépasser le seuil de celui du référendum sur la Constitution du 1er novembre dernier.

Les causes sont connues. Elles ont trait aux effets inhibiteurs de la crise économique et sociale sur le mental des citoyens -ce qui explique leur désaffection, et le déroulement fade d’une campagne électorale qui s’apparente plus à une kermesse tenue au milieu du désert.

Le boycott de l’opposition et des partis dits démocrates ne constitue-t-il pas un désaveu pour ce scrutin ?

 Manifestement, l’opposition et les démocrates n’ont cessé de dénoncer le prochain scrutin.  Mais leur poids sur l’échiquier politique ne pèse pas.

Constituée de quelques formations, cette opposition n’a pas d’ancrage dans la société. Avec le Hirak, occasion ratée des autorités pour engager un processus démocratique, ces partis ont essayé de faire entendre leurs voix, sans réfléchir à une stratégie pour élargir leurs bases.

Coupée du reste du pays, cette opposition se plaît à ressasser le même discours. Un discours ringard et désincarné.

Pour les démocrates, une appellation difficile à soutenir tellement leur composante est émiettée, leurs déclarations périodiques s’apparentent à un chant de cygne, du moment qu’ils sont incapables de s’unir pour débattre une sortie de crise.

D’évidence, la tâche n’est pas aisée devant les mesures répressives du pouvoir. En tout état de cause, leur refus déclaré du prochain scrutin aura un effet sur l’électorat puisqu’il intervient dans un contexte de crise.

Lors d’une interview au magazine français Le Point, le président Tebboune a été très critique à l’égard des partis politiques, en affirmant qu’il comptait beaucoup sur deux piliers : « La jeunesse et le peuple ». Quelle lecture faîtes-vous de cette déclaration ?

Ce temps où on déclarait compter sur la jeunesse et le peuple appartient à un autre âge. Qu’il soit de droite, de gauche ou islamiste, tout président doit s’adosser sur un parti pour gouverner le pays.

La jeunesse concerne une tranche d’âge de la population et le peuple est une fiction. Comment penser à ces deux catégories en dehors de leur appartenance politique et idéologique et leurs conditions sociales et économiques ?

Concevoir la politique en s’appuyant sur la jeunesse et le peuple exclut l’altérité et le débat pluriel. Cela signifie qu’il y a un seul chef et que tout le monde doit marcher derrière lui.

Cette vision du pouvoir nous semble ignorer les dynamiques qui traversent la société, le développement historique du pays et l’environnement régional et international.

Dans la même interview, le chef de l’État ne semble pas inquiet quant à l’éventualité de voir le futur Parlement dominé par les islamistes. « Cet islam politique-là ne me gêne pas », a-t-il dit. Que faut-il en déduire ?

Dans un certain sens, il a raison. Les islamistes dans leur ensemble ne constituent aucun danger pour l’ordre public républicain. Présents dans l’équation politique -Assemblées, nationale et locales, et gouvernement-, depuis les années quatre-vingt-dix, ils avaient participé à la gestion de la crise sécuritaire qui avait endeuillé le pays.

Comment peut-on leur refuser un rôle important dans la future Assemblée s’ils pouvaient avoir la majorité ? S’agissant d’islamistes appartenant à des partis agrées et œuvrant dans le cadre de la légalité, ils ne pourraient à court terme influer sur le fonctionnement du système politique, puisque c’est grâce à ce dernier qu’ils ont pu survivre.

D’ailleurs, l’Algérie ne peut se permettre d’ignorer ce qui se déroule dans les pays du Maghreb où les islamistes sont associés dans la gestion des affaires publiques.

Je pense que leur participation accrue renforcera la démocratisation des institutions et amènera les démocrates à réviser leur approche des réalités du pays.

Le pays a besoin de compétitions politiques et une confrontation des programmes, quand bien même les islamistes sont à l’aise dans l’instrumentalisation de la religion.

Fortement impliqués dans la campagne pour les législatives, les partis islamistes peuvent-ils prétendre à une majorité à l’APN ? Auquel cas, quel impact sur le pays ?

Je ne pense pas qu’ils auraient une majorité écrasante dans la future Assemblée. Deux scénarios se posent à nous. Dans le premier, les islamistes auraient une certaine majorité, mais pas au point de dominer l’Assemblée.

Ils devraient dans cette hypothèse composer avec les autres formations. Dans le second, ils pourraient engranger le plus grand nombre de sièges, mais vouloir dominer l’Assemblée parait être difficile dans la mesure où ils ne constituent pas un bloc monolithique.

Dans ce cadre, il ne faut pas ignorer que certaines formations islamistes continuent d’émarger dans d’autres registres. Cela veut dire qu’ils sont tenus en laisse quelque part.

Habitués, en plus, à fréquenter les loges du pouvoir, ils n’oseront pas risquer de perdre leurs privilèges. Continuer à déclamer un islam folklorique fait partie du décor politique, planté longtemps, pour rejouer les mêmes fables.

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