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Libre arbitre, destin et prescience divine, égalité des chances

Libre arbitre, destin et prescience divine, égalité des chances

TRIBUNE. Je viens au monde avec comme bagage non choisi la partie initiale de mon destin, et je m’évertue ensuite à tracer, autant que librement se peut, la partie restante vitale, pour clore et retrouver à la fin mon registre complet qui m’attendait.

On ne choisit pas son destin initial, pouvant paraître aux antipodes de l’égalité des chances, mais on dispose de suffisamment d’options pour l’appréhender et réussir la partie comptable.

L’invisible et l’imperceptible

« Le libre arbitre » et « Le destin » sont des notions challengeant la perception humaine, aussi fondamentales et indissociables pour la foi des uns, qu’incompatibles et antagoniques pour la raison des autres.

Les deux concepts font partie des préceptes des religions monothéistes, même si beaucoup de juifs et chrétiens rejettent désormais le second pour cause d’incompatibilité avec le libre arbitre plus accessible à la perception.

L’ambiguïté entourant la conciliation des deux notions est indéniable et sème des doutes même dans l’esprit de certains musulmans, comme l’avait prédit le Prophète (PSL) : « Il y aura dans ma nation des groupes de gens qui renieront le destin« .

Il est pertinent et instructif de signaler ici la compassion et la tolérance du messager de Dieu, qui n’exclut pas de « sa nation » ceux qui renient le précepte fondamental du « Mektoub ».

Les fidèles considèrent que la négation de la prescience divine, clairement stipulée dans le Coran, est une irrévérence envers les attributs parfaits du Créateur et ses prérogatives illimitées, et que l’invisible auquel nous devons croire n’est pas toujours perceptible.

Il est impératif de rappeler d’emblée qu’avec l’incroyance, l’intelligence humaine bute sur plus d’énigmes et antagonismes, et autres dilemmes et impasses. Je renvoie le lecteur à deux de mes contributions sur le sujet (1, 2).

Certaines équivoques n’en sont pas, c’est le cas de l’interaction des volontés, qui peut être élucidée par le bon sens.

Libre choix et modération de la volonté

De fausses ambiguïtés entourent l’interprétation de certains versets tels : « Vous ne pouvez vouloir que si Allah le veut » (Coran 81/29)

Ce verset n’annule pas la volonté humaine mais la place en dessous de la volonté divine, tout comme le contrôle parental peut satisfaire les vœux des enfants ou s’y opposer.

L’interaction de la volonté du Créateur avec l’intention humaine (bonne ou mauvaise) se manifeste sous plusieurs formes, on peut en citer : Approuver – Parfaire – Corriger – Différer – Laisser faire – Embellir pour enfoncer – Opposer et avorter …

La cohabitation sociale entraîne, elle aussi, diverses formes de hiérarchisation et d’interaction des volontés, pouvant mener à l’anarchie en l’absence de moralisation disciplinaire. Mes responsables directs et les dirigeants politiques peuvent eux aussi contrarier ma volonté, et souvent avec moins d’égards que les parents.

Si ma femme avait dit « Non », je m’en serais sans doute remis et opté pour un deuxième choix.

Le défi majeur pour la perception humaine spatiotemporelle, c’est la notion de prescience divine signifiant que le chemin frayé librement par tout individu est déjà connu et enregistré par le Créateur.

Prescience divine et temps humain

« Rien ne nous atteindra en dehors de ce qu’Allah a prescrit pour nous » (Coran 9/51)

Avec des choix libres connus à l’avance, où le passé et le futur s’entremêlent, la perception humaine est mise à rude épreuve !

Comment donc notre Créateur peut-il savoir ce que nous allons faire, sans pour autant neutraliser notre volonté ?

L’explication simpliste du film qu’on revoit en sachant à l’avance ce que va faire chaque acteur, sans pouvoir décisionnel sur eux, est évidemment insuffisante.

L’omniscience du Créateur doit être, à mon avis, réfléchie en revisitant le concept du temporel et de l’intemporel.

Que de physiciens, philosophes, et autres érudits ont été fascinés par la notion du temps.

Chaque instant futur finit par devenir brièvement un instant présent, avant de rejoindre définitivement le passé.

De bouche à oreille ou à travers les livres d’histoire, et en faisant fi des défaillances sincères et des impostures sournoises, nous connaissons quelque peu le passé, mais nous ne connaîtrons jamais le futur de nos arrière-petits-enfants, même quand il rejoindra le passé.

Le temps est un produit d’une perception humaine limitée et représente une parenthèse entre deux périodes intemporelles. Selon Platon, le temps est né avec l’univers et s’éteindra avec lui.

Cette parenthèse finie de significativité limitée, nous invite à penser le temps autrement, au-delà du spatiotemporel humain.

La science-fiction a depuis longtemps imaginé des voyages dans le temps, et les pouvoirs divins dépassent de loin notre anticipation.

Pour notre Seigneur, le temps, ou la parenthèse temporelle, ne serait peut-être qu’une menue entité que Le Tout Puissant pourrait dérouler et retourner, comme agirait un être humain avec une pomme entre ses mains.

Percevoir ainsi la prescience du Tout Puissant, c’est déjà mieux pour la sérénité de la foi et la quiétude de l’intellect.

Dans les interrogations spirituelles, la compréhension est une récompense de la foi, tout comme elle en est un affermissement.

Dans des situations de confusion, une explication plus accessible à l’entendement réduit l’opacité et gagne en plausibilité. Et même si cette dernière ne signifie pas vérité, elle rassure tout de même sur l’existence de cette vérité unique, claire, limpide, et juste.

« Wa ma rabbouka bi dhallamin lilâabeed » – Coran 41/46 (« Ton Seigneur n’est certes point injuste envers les serviteurs »

Destins différents et égalité des chances

Même si l’émulation est permise, et parfois encouragée, l’examen de la vie est le seul examen où l’on ne peut pas tricher. Devant chaque individu se déploie une feuille d’examen originale avec des questions et des épreuves du destin spécifiques.

La variabilité de ces conditions initiales ne manque pas de soulever les réserves des sceptiques quant à l’absence de l’égalité des chances.

Cette incrédulité millénaire n’est jamais sortie de son inconséquence pour proposer une alternative plus équitable.

Je me fais brièvement l’avocat de cet idéalisme utopiste, qu’il soit sincère ou diligenté par quelque forme de dissidence, synonyme, au demeurant, de modernisme pour certains.

L’égalité fantasmée commence par un être humain unisexe, ni mâle, ni femelle, ni tutorat, ni grossesse, ni accouchement, ni enfant, ni allaitement, ni héritage égal ou préférentiel… Et pour chaque copie conforme, il faut prévoir une planète séparée pour éviter toute interaction susceptible de causer des disputes et injustices faussant l’égalité des chances.

Ne pouvant aller plus loin, j’invite les esprits rebelles à imaginer une suite avec plus d’enchantement et d’émerveillement, sinon à méditer l’impasse de l’approche par l’absurde.

Les disparités spatiotemporelles, sociales, physiques, cognitives, santé, couleur de la peau, … sont des impératifs de la vie sur Terre, basée sur la diversité, la variation, l’évolution, la procréation, et la substitution.

Le bon sens inaltéré suffit pour comprendre qu’à ce palier supérieur, il appartient à qui de droit et non à la perception humaine, de se soucier de l’équité et de l’ égalité des chances, autant que des circonstances atténuantes ou aggravantes.

« Wa ma rabbouka bi dhallamin lilâabeed« .

*Professeur en génie civil

Références :

1) A. Charif « La foi et l’intelligence, entre compatibilité et discordance »    LQO du 22-11-2016

http://www.lequotidien-oran.com/?archive_date=2016-11-22&news=5236144

2) A. Charif « Emmanuel Kant, la raison et la foi »    LQO du 4-12-2022

http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5313233

Important : Les tribunes publiées sur TSA ont pour but de permettre aux lecteurs de participer au débat. Elles ne reflètent pas la position de la rédaction de notre média.

 

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