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Marches contre le 5e mandat : « Nous n’exigeons pas seulement le report des élections et le retrait de Bouteflika »

Marches contre le 5e mandat : « Nous n’exigeons pas seulement le report des élections et le retrait de Bouteflika »

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ENTRETIEN. Abdelouahab Fersaoui est le président de l’association Rassemblement action jeunesse (Raj) qui soutient le mouvement populaire contre le cinquième mandat.

Quel bilan faites-vous des manifestations du vendredi 1er mars ?

Pour la deuxième fois successive, le peuple algérien est sorti avec force dans toutes les rues d’Algérie. Il y avait des centaines de milliers de manifestants. J’ai participé à la marche à Alger. J’ai vu une mobilisation extraordinaire du peuple algérien. Il y avait des vieux, des jeunes, des hommes, femmes, même des enfants et des familles entières, venus exprimer leur ras-le-bol, confirmer leurs revendications qui consistent dans le refus du cinquième mandat et l’exigence d’aller vers un changement démocratique. C’est une mobilisation extraordinaire qui reflète la détermination et l’engagement du peuple algérien pour faire aboutir ces revendications.

Même l’organisation a été très bonne même s’il n’y a pas eu d’appels définis sur l’itinéraire à suivre, donc il y a une cohérence dans l’organisation et même dans les mots d’ordre dans cette marche.

Le déroulement de la marche a été magnifique, le caractère pacifique des manifestants a été un des principes phares de cette manifestation. À chaque fois que quelqu’un a essayé, même de manière inconsciente, de recourir à la violence, les manifestants l’en ont empêché. Donc ce sont les forces de l’ordre qui ont provoqué en premier lieu en empêchant les manifestants d’avancer, en tirant des bombes lacrymogènes. A l’occasion, je trouve que cette attitude, cette répression peut avoir des conséquences négatives parce que le peuple marche d’une manière pacifique et il est temps pour le pouvoir de saisir cette mobilisation nationale des Algériens et de na pas ignorer ses revendications.

Comment voyez-vous la gestion par les forces de l’ordre de la manifestation ?

Le plus important est que les forces de l’ordre ne peuvent pas contenir, contrôler une telle manifestation. Des centaines de milliers de personnes sont venues, donc on ne peut pas les empêcher de marcher. La preuve, les manifestants sont arrivés jusqu’à une centaine de mètres de la Présidence. C’est la mobilisation du peuple algérien qui a fait que les forces de l’ordre n’ont pas empêché les manifestations. Les Algériens sont déterminés, ils sont sortis ce vendredi, ils sortiront vendredi prochain et la manifestation pacifique, j’en suis sûr, va encore durer. La balle est dans le camp du pouvoir.

Le refus des Algériens d’aller à l’affrontement avec les forces de l’ordre reflète leur degré de conscience et leur maturité. Les représentants du pouvoir, notamment le Premier ministre Ahmed Ouyahia, dans ses interventions, a opté pour le discours de la peur. Dans son intervention à l’APN, il a dit qu’« en Syrie ça a commencé avec les roses mais vous avez vu les résultats ». Le pacifisme des Algériens est une réponse très forte à ce pouvoir.

« L’Algérie n’est pas la Syrie », ont scandé les manifestants d’ailleurs. Les Algériens sont conscients des dangers qui guettent l’Algérie, c’est pour cela que le caractère pacifique est maintenu. La carte de la peur ne fait plus foi pour les Algériens, c’est une carte qui ne peut plus marcher. Le peuple algérien s’est libéré, il a cassé le mur de la peur et même quand il manifeste il le fait dans la joie parce qu’il se réapproprie des espaces de liberté, de la rue, espace de participation à la vie citoyenne et de la libre expression.

Le peuple algérien a donné une leçon à ce pouvoir qui l’a méprisé depuis des décennies, qui l’a étouffé et empêché de s’exprimer et de s’organiser. Depuis longtemps le pouvoir considère que le peuple est un poids à supporter et non un acteur mais aujourd’hui le peuple algérien a répondu qu’il est là et dit que c’est à lui de décider.

Le rejet du cinquième mandat est-il la seule revendication des manifestants ?

Le cinquième mandat est le mandat de trop. Sur le plan politique le bilan est négatif après 20 ans de règne. On n’a pas pu construire des institutions fortes et légitimes qui travaillent pour l’intérêt général, on n’a pas pu construire une économie productive alors qu’il y a une manne financière très importante. Un règne de 20 ans est antidémocratique. Quant à la santé du Président, les Algériens n’ont pas besoin d’être médecins pour savoir qu’il ne peut pas assumer sa fonction présidentielle.

Ce mandat est la goutte qui a fait déborder le vase et les Algériens sont sortis pour dire non au cinquième mandat mais aussi pour dire qu’ils veulent un changement démocratique, construire un État de droit où les libertés seront garanties. Ce sont là les revendications des Algériens, elles sont purement politiques et le message est clair.

Le pouvoir algérien est aujourd’hui sommé de réagir, de répondre de manière concrète aux revendications du peuple algérien et de cesser les manipulations à travers les médias publics en disant que le peuple algérien demande des réformes profondes. Le peuple algérien demande plus que ça, il demande le changement du système et la construction d’un Etat de droit. Le pouvoir algérien doit cesser ses provocations soit par les médias soit par les déclarations des responsables. S’il continue de cette manière, le mouvement peut évoluer et nous ne voulons pas aller vers des situations difficiles. Le peuple algérien a beaucoup souffert et nous ne voulons pas qu’il souffre encore. Nous voulons que le pouvoir cesse ses provocations et qu’il réponde aux doléances des Algériens de façon concrète et précise.

RAJ fait partie d’un ensemble d’associations qui ont lancé une initiative politique pour la concertation en vue de trouver une solution consensuelle à la crise actuelle. En quoi consistent vos propositions ?

Le RAJ en tant qu’association, a exprimé son point de vue et son soutien à ce mouvement populaire pacifique dès le début. Dans toutes nos rencontres nous parlons de la situation politique et économique et à chaque fois nous tirons la sonnette d’alarme et nous disons que nous sommes au bord de l’explosion sociale.

Nous sommes un groupe d’associations qui activent depuis des années, nous avons réfléchi et avons dit que le mouvement est là avec des Algériens qui sortent de façon spontanée, avec des slogans clairs mais il faut donner à ce mouvement un prolongement politique dans la durée pour le faire aboutir, le structurer, l’encadrer et l’accompagner parce que s’il continue comme ça, sans organisation, il peut aller dans tous les sens.

Nous avons dit, nous en tant qu’associations, organisations de la société civile, nous avons un rôle à jouer et d’ailleurs c’est dans notre mandat de médiateur. Nous avons lancé cette initiative pour discuter avec toutes les forces vives de la société civile, y compris les partis politiques pour rapprocher les visions et faire des propositions. Nous n’exigeons pas seulement le report des élections et le retrait de Bouteflika, ce ne sont là que des mesures d’apaisement. Nous parlons de l’après présidentielle, nous parlons de la construction d’un processus démocratique qui commence par le retrait de la candidature de Bouteflika.

C’est une initiative portée par un groupe d’associations au niveau national, nous allons entamer les rencontres pour avoir un seul mot d’ordre. Le contenu de ce processus sera discuté et sera consensuel. Notre vision, et j’insiste là-dessus, est que les prochaines élections ne constituent pas une issue à la crise pour l’Algérie. Le maintien des prochaines élections dans le contexte actuel représente un danger pour la Nation. Les prochaines élections sont caduques, il faut lancer un vrai processus démocratique, ouvert et inclusif.

Quelles perspectives pour ce mouvement ?

Le mouvement marche très bien jusqu’à présent grâce au génie populaire qui organise tout ça. Les marches d’hier se sont très bien passées. Il y a eu des violences à Alger et le pouvoir doit assumer sa responsabilité dans ses violences puisqu’il en est le seul responsable. Et à ce sujet, je tiens à présenter mes condoléances les plus sincères à la famille Benkhedda suite à la mort de Hacen Benkhedda lors des manifestations pacifiques d’hier.

Il y a des appels à la grève le dimanche qui est le dernier délai pour le dépôt des dossiers de candidature à l’élection présidentielle. En tant qu’association nous adhérons à cette manifestation pacifique qui consiste à observer une journée de grève, villes mortes, au niveau national et c’est quelque chose de positif.

Vendredi prochain il y aura bien sûr des manifestations et sur les réseaux sociaux il y a encore des appels pour dire que ce sont des rassemblements pacifiques et tant que l’action est pacifique, il est du droit des Algériens de s’exprimer, c’est un droit garanti par la Constitution et c’est au pouvoir algérien de respecter ce droit et de garantir au citoyen ce droit de manifester dans le calme, sans provocations et sans répression.

Le défi aujourd’hui est d’interpeller toutes les forces vives pour organiser ce mouvement qui est extraordinaire. Si on l’organise, il pourra aboutir, jusqu’à présent, le génie populaire a pu capitaliser ce mouvement mais ça ne peut pas durer. Il y a donc une urgence à encadrer ce mouvement et à le faire aboutir, une urgence à ce que le peuple algérien se réapproprie les espaces d’expression au niveau local et national. Je pense qu’il est important d’ouvrir des débats, des rencontres de concertation au niveau national et au niveau local, dans les quartiers, les communes, les wilayas pour discuter de la situation générale du pays. Ces débats peuvent contribuer à l’aboutissement de ce mouvement des Algériens car ils étaient étouffés pendant des décennies. C’est très important pour l’avenir de l’Algérie.

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