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Pour produire du blé, l’Algérie cultive le désert

Pour produire du blé, l’Algérie cultive le désert

Pour faire face à la demande en blé et réduire la dépendance aux importations de ce produit de large consommation, l’Algérie encourage l’investissement privé dans l’agriculture saharienne.

Les groupes publics sont également encouragés à participer à l’aventure. C’est le cas de l’entreprise publique Global Agrifood qui cultive le blé du désert algérien.

Après le géant public du BTP Cosider et la compagnie pétrolière Sonatrach, c’est au tour du holding public Madar de se positionner dans le domaine agricole. Sa filiale Global AgriFood (GAF) exploite depuis peu une concession agricole de 2.000 hectares à Gassi Touil à proximité des puits de pétrole de Hassi Messaoud.

Signe de l’importance accordée par les autorités locales au projet, c’est le wali d’Ouargla en personne qui, à l’automne 2023, a lancé symboliquement la campagne de semis.

Pourquoi l’Algérie encourage la culture du blé dans le désert ?

Au pied d’un pivot d’irrigation, des techniciens de GAF versent des sacs d’engrais dans une citerne raccordée au système d’arrosage. Un ingénieur agronome a confié au média La Patrie News : « C’est du sulfate d’ammonium. Ce type d’engrais permet de ramener l’acidité du sol de 8 à 6,4. Ce qui permet à ce que les éléments soient mieux assimilables par les plantes ».

Il ajoute : « On fractionne les apports, au stade montaison, le blé nécessite beaucoup d’engrais azoté ». Un fractionnement indispensable dans ces sols sahariens à dominante sableuse où les sols ne retiennent pas les engrais, ce qui oblige à majorer les doses par rapport au blé cultivé dans les champs du Nord de l’Algérie.

Un discours qui tranche avec ce qui se fait sur certaines concessions mises en valeur par des investisseurs privés encore peu au fait des subtilités agricoles. Un déficit de savoir-faire que relevait, en 2023 à El Menia, l’ingénieur agronome Zakaria Alem lors d’un entretien avec la presse.

Manifestement, GAF mise sur la technique et met en œuvre de gros moyens. Sur site, des ingénieurs agronomes et techniciens en maintenance électromécanique sont chargés du suivi de la vingtaine de pivots déjà installés et des 7 forages réalisés sur les 35 prévus. Des forages profonds de 250 mètres qui assurent l’eau nécessaire à l’irrigation du blé en plein désert.

Outre les pivots, il s’agit de veiller à l’alimentation électrique des pompes qui remontent l’eau depuis la nappe souterraine.

Faute de raccordement au réseau électrique, ce sont des groupes électrogènes qui assurent le fonctionnement des installations et de la « base de vie » de la concession.

Un hameau fait de cabines sahariennes à l’image de ce qui se pratique sur les sites pétroliers de la Sonatrach. Les dimensions de la concession agricole sont telles que les déplacements se font en véhicules 4 x 4.

Cultiver du blé dans le désert en Algérie : des rendements de 70 quintaux

Le climat local permet une récolte précoce. Le blé est récolté dès le mois de mai et aussitôt du maïs est semé. Un maïs récolté sous forme d’ensilage et conservé sous forme de balles rondes enrubannées. Un mode de conservation qui a transformé certaines zones du Sud en pôle laitier à l’image de la région de Ghardaïa.

Lotfi Boughrara est fier d’annoncer des rendements moyens de 68 quintaux de blé, avec « des pointes à 70 quintaux », précise l’ingénieur.

Ces rendements sont honorables et bien loin des 40 quintaux nécessaires pour couvrir les charges inhérentes à ce mode de culture.

En plein désert, durant les six mois de culture du blé, l’irrigation est permanente et d’autant plus coûteuse que la profondeur de la nappe est grande. Aussi, parmi les charges, celles relatives à l’alimentation en énergie des motopompes sont les plus élevées.

Des gains de rendement sont encore possibles. En attestent les parcelles aux épis de blé couchés au sol par le vent et donc difficilement récoltables. Un phénomène de « verse » qui peut être réduit par le choix de variétés adéquates et de régulateurs de croissance, seuls moyens de renforcer la tige des plantes devant supporter les lourds épis correspondant à des rendements de 80 quintaux.

Face aux tempêtes de vent et de l’insuffisance de matériel de récolte, l’ingénieur assure que la parade réside dans la « nécessité d’un contrôle permanent face à la rudesse du climat de la région ».

Un niveau de rendement qui peut être remis en cause les années suivantes. De façon paradoxale, le danger peut venir de l’eau. En 1996, le spécialiste en étude des sols, le pédologue Rabah Lahmar faisait remarquer que pour un hectare de blé dans le désert qui consomme 6.000 m³ d’eau, si celle-ci contient 2 grammes de sel par litre, « la culture peut alors laisser dans le sol en fin de cycle 12 tonnes de sels ».

Suite à une campagne d’observation sur le terrain, il notait alors : « Cinq campagnes d’irrigation, dans les fermes pilotes de Gassi Touil, ont suffi à multiplier par six le niveau de salinité des 20 premiers centimètres du sol. »

Il alertait alors : « Ces niveaux de salinité sont largement suffisants pour provoquer une chute importante des rendements du blé dur. Les rendements ont, en effet, baissé de près de la moitié. »

Ce problème du sel contenu dans l’eau d’irrigation est connu de certaines oasis par la couleur blanchâtre que prend parfois la surface du sol. La parade des investisseurs est alors de déplacer leurs pivots.

Culture du blé dans le désert en Algérie : le problème peut venir de l’eau

Le responsable technique de la concession de Madar détaille les réalisations : « 18 pivots sont consacrés au blé de consommation et 9 autres à la multiplication de semences ». Sage décision.

À l’automne 2023, suite à la sécheresse qui a touché le Nord de l’Algérie, l’approvisionnement des agriculteurs en semences de blé n’a été possible que grâce à la production venue du Sud. Seule une noria de camions parcourant des centaines de kilomètres a permis de relancer un cycle de culture et la campagne céréalière en cours.

Dans cette concession agricole implantée dans le désert, à proximité d’une forêt de tubulures, une équipe de techniciens installe de nouveaux pivots fournis par la société publique Anabib.

Chacun peut irriguer 30 hectares et nécessite la mobilisation d’engins de levage pour son installation. À proximité, un engin de chantier creuse une tranchée qui devrait accueillir le câble électrique indispensable au fonctionnement du pivot.

Vu du ciel, le forage d’un nouveau puits artésien montre une ressemblance frappante avec les puits de pétrole de Hassi Messaoud. L’expérience de la prospection pétrolière de la Sonatrach n’est pas sans avoir influencé la « ground water economy » cette exploitation des eaux souterraines au Sahara.

L’ex-PDG de la Sonatrach, Abdelmadjid Attar aime raconter que lors de sa nomination en tant que ministre de l’hydraulique dans les années 2000, le premier ministre de l’époque lui avait lancé : « Tu as l’expérience des forages de puits de pétrole, on a pensé que cela te serait utile dans le domaine de l’hydraulique ».

Le choix de l’implantation de GAF dans la wilaya d’Ouargla n’est pas innocent. À de multiples reprises, cette wilaya a connu des mouvements de revendication de jeunes chômeurs. Nombreux parmi les agents techniques présents sur le site, nombreux sont ceux venant du centre de formation professionnel régional de Touggourt.

Pour Lotfi Boughrara, « l’avenir [agricole] de l’Algérie est dans le Sahara algérien ». Le dirigeant de Global AgriFood estime que cette région détient un potentiel pour « arriver à une autosuffisance alimentaire et pour nourrir l’Europe ». Un optimisme qui suppose la permanence des ressources en eau et la lutte contre l’accumulation du sel. Un sel qui pourrait transformer en quelques années ce « paradis vert » en un enfer blanc.

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