Politique

Relancer l’économie : mission impossible pour Benabderrahmane ?

La désignation d’Aïmen Benabderrahmane mercredi 30 juin au poste de Premier ministre porte un message limpide. Le président de la République Abdelmadjid Tebboune signifie par là qu’entre le règlement de la crise politique et la relance de la machine économique, il a tranché : le nouveau gouvernement doit s’occuper de l’économie et du social.

Cela peut signifier que pour le président de la République, la crise politique est réglée avec la tenue des législatives ou que les questions politiques ne relèvent pas des prérogatives du nouveau gouvernement.

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L’urgence est donc de s’attaquer à la crise économique qui constitue l’ingrédient principal du mécontentement social, donc d’éventuels troubles qui menaceraient la stabilité générale du pays, y compris politique.

Des voix nombreuses s’élèvent encore comme celle du FFS pour insister sur un traitement d’abord politique de la crise, sans lequel les remèdes économiques qui seront apportés auront très peu de chances de produire de l’effet.

La mission d’Aïmen Benabderrahmane est-elle donc vouée à l’échec avant même de débuter ?

Beaucoup la jugent en tout cas très délicate et ils n’ont pas tout à fait tort tant les indicateurs actuels ne plaident pas pour une mise en œuvre sereine et rapide des changements envisagés.

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Dans pareille situation, la confiance est un facteur central sans lequel rien ne peut être entrepris avec succès. Les réformes structurelles qui sortiront le pays du marasme économique pour le mettre sur les rails de la vraie croissance sont toutes ou presque douloureuses.

Pour ne citer que les plus problématiques, il y a la révision du système des subventions (carburants, céréales, logement, eau, électricité, lait, etc), maintes fois envisagée mais jamais mise en œuvre, la réforme bancaire et fiscale, le règlement définitif de la question des entreprises publiques qui ont grevé la bourse publique sans résultat, la réduction du train de vie de l’État qui passera nécessairement par des coupes dans la masse salariale de la fonction publique…

Au rythme actuel de l’évolution des principaux indicateurs financiers et économiques, et au vu du climat politique qui sclérose le pays depuis février 2019, le président et son Premier ministre risquent d’avoir du mal à concilier les deux objectifs que le premier a assignés au second : la relance de l’économie et la préservation des acquis sociaux.

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Une situation fortement compliquée

« Pour l’avenir, c’est l’économie et le social, donc financier et vous êtes au courant de tous les dossiers financiers », a dit Tebboue à Benabderrahmane lors de la brève cérémonie de sa nomination. Autant dire que le nouveau Premier ministre évoluera sur le fil du rasoir.

La situation économique est déjà suffisamment compliquée. Les réserves de change ne couvrent qu’un peu plus d’une année d’importations (au rythme actuel de fortes restrictions), le déficit du budget prévisionnel est abyssal (plus de 3300 milliards de dinars à la fin de l’année en cours selon le projet de Loi de finances 2021) et la monnaie nationale poursuit sa dégringolade inexorable face aux principales devises (euro et dollar).

Même la seule bonne nouvelle du moment, qui est la remontée du prix du baril de Brent qui est repassé au-dessus de la barre de 75 dollars pour la première fois depuis octobre 2018, est vite annihilée quand on sait que l’Algérie n’exporte plus autant de gaz et de pétrole que par la passé, à cause du déclin de sa production, et de la hausse de la consommation interne.

Signe de l’absence d’alternatives sérieuses, les autorités ont dû déterrer, sous une forme déguisée, la solution miracle de la planche à billet, pourtant très décriée et totalement exclue il y a seulement quelques mois.

Le hasard a voulu que le nouveau règlement de la Banque d’Algérie qui définit un « programme spécial de l’économie », soit publié au Journal officiel le jour même de la désignation du nouveau Premier ministre chargé de trouver des solution à l’économie moribonde du pays.

Autre coïncidence pas très heureuse, le dinar algérien a enregistré un nouveau record à la baisse face au dollar 24 heures seulement après l’entrée en fonction de M. Benabderrahmane.

Celui-ci assurait, en mars dernier seulement, en tant que premier argentier du pays, que la monnaie nationale était en plein « redressement » et qu’elle « deviendra plus forte à la fin de l’année ».

Le nouveau Premier ministre est certes un financier et quand bien même il maîtriserait tous les dossiers en rapport avec la question comme l’a souligné le chef de l’État, que pourra-t-il faire dans une conjoncture où la confiance fait doublement défaut ?

D’abord en interne comme l’a démontré indiscutablement le taux de participation aux trois derniers scrutins, dont les législatives du 12 juin qui ont été marquées par une abstention record (taux de participation de 23 %).

La confiance, catalyseur de toutes les croissances

Pour ceux qui sous-estimeraient l’importance de la confiance dans pareille conjoncture complexe, il faut rappeler les crises et tensions qui se sont succédé ces derniers mois et qui ont été aggravées pour certaines par le déficit de confiance endémique chez la population.

Les assurances du président de la République, du Premier ministre, du ministre du Commerce, de la principale association de consommateurs et du premier industriel du pays n’avaient pas suffi pour convaincre les gens que l’huile de table était disponible et que l’Algérie en produisait largement plus que ses besoins.

Si le gouvernement a peiné pour gérer une crise qui n’en était pas une, qu’en sera-t-il par exemple pour l’actuelle pénurie d’eau qui, elle, est réelle ? Que faudra-t-il dire, ou faire, lorsque les réformes inéluctables butteront sur l’intransigeance des syndicats ou l’impatience des travailleurs ? On ne le dira jamais assez, la confiance est le catalyseur de toutes les stabilités et de tous les essors. Pour mener des réformes devenues vitales, le gouvernement a besoin de la mobilisation générale de toute la population.

Hélas, la même défiance est perceptible chez les investisseurs tant nationaux qu’étrangers, et ce n’est pas sans raison. Le climat des affaires, déjà très critiqué depuis toujours, s’est encore détérioré après le 22 février 2019, avec la persistance de l’instabilité juridique et des tracasseries bureaucratiques auxquelles se sont greffées la crise politique et les appréhensions nées du sort de dizaines d’hommes d’affaires proches de l’ancien président et leurs entreprises. L’investissement est au point mort et même le président de la République s’en est plaint publiquement.

Ces derniers mois, on assiste plutôt à de groupes étrangers (BP, Veon, etc ) qui quittent l’Algérie que l’inverse. Mais le problème de l’incapacité du pays à attirer les investisseurs étrangers est ancien.

En dix ans (2010-2020), l’Algérie n’a attiré que 13,55 milliards de dollars d’investissements directs étrangers. En 2020, le montant des IDE vers l’Algérie ont fortement baissé (19 %) à 1,13 milliard de dollars, selon les chiffres de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (UNCTAD)

Le rétablissement de la confiance, tant des citoyens dans les institutions que du capital dans le climat général du pays, se présente par conséquent comme le premier chantier auquel le nouveau gouvernement est tenu de s’attaquer pour espérer rapprocher le pays de la relance escomptée.

Ne pas le faire et espérer le retour de la confiance par celui de l’abondance, c’est mettre la charrue devant les bœufs et prendre le risque de continuer à tourner indéfiniment en rond.

À défaut d’inverser les priorités, le chef de l’État avait pourtant largement la possibilité de les concilier, tant l’une n’empêche pas l’autre.

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