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Remplacement du français par l’arabe : « Une grossière erreur »

Remplacement du français par l’arabe : « Une grossière erreur »

L’arabisation est de retour en Algérie dans un contexte de tensions avec la France. Des départements ministériels ont décidé ces derniers jours d’adopter uniquement la langue arabe dans leurs correspondances et communication, et d’abandonner l’utilisation du français.

Les ministères de la Jeunesse et des sports, de la Formation professionnelle, ont décidé de bannir la langue de Molière de leurs correspondances officielles.

La mesure semble faire tâche, puisque le directeur de la santé de Guelma a instruit, mardi 26 octobre, les structures hospitalières de sa wilaya d’adopter l’arabe dans leur communication et envois de courriers tout incitant les médecins à prescrire des ordonnances en arabe, sans tenir compte de la logistique nécessaire pour faire ce basculement.

La question du remplacement du français par l’arabe n’est pas nouvelle en Algérie ; elle revient au gré des crises qui affectent épisodiquement les relations entre l’Algérie et l’ancienne puissance coloniale.

La question a atteint un point de bascule avec l’arabisation enclenchée dès les années 1970. «A l’époque on pensait qu’on ne pouvait pas décoloniser sans passer nécessairement par la décolonisation linguistique. Et qu’en adoptant l’arabe « scolaire » on allait s’émanciper de la posture coloniale. Evidemment, c’est une lecture politique superficielle et c’est la même lecture qui est en train d’être reconduite à chaque fois qu’il y a un problème à caractère politique comme c’est le cas ces derniers temps », résume dans une déclaration à TSA, le professeur en sciences du langage et en traductologie, Abderrazak Dourari.

« Il est évident que c’est une grossière erreur au niveau de l’analyse politique mais aussi géostratégique », fait-il remarquer.

« Il n’y a pas lieu de lier la langue française à la colonisation »

Une démarche qui, au-delà de la crise politique actuelle entre Paris et Alger, trouve ses racines dans l’histoire coloniale française en Algérie. Le Pr Dourari soulève deux points essentiels : le rapport entretenu envers le français sous le prisme du colonialisme et aussi la formation francophone d’une majeure partie de l’élite algérienne.

« La décolonisation et la lutte nationale anticoloniale s’est faite en langue française et jamais en langue arabe. On peut revoir tous les textes de la Révolution algérienne. Depuis 1926 et la fondation du premier parti national et indépendantiste, l’Etoile nord-africaine (ENA), jusqu’à l’Indépendance, c’est toujours la langue française et l’élite francophone qui a mené le combat contre la colonisation. L’Association des Oulémas était la seule organisation favorable à la langue arabe mais qui utilisait beaucoup le français», rappelle le chercheur.

Le Pr Dourari conclut qu’«il n’y a pas lieu du tout, déjà à la lecture de notre histoire, de lier la langue française à la colonisation ».

Quant à l’élite algérienne de formation francophone, Abderrazak Dourari estime qu’en interdisant la langue française « on interdit la parole à cette élite qui devrait défendre la nation algérienne et ses intérêts, mais aussi promouvoir son image et développer sa pensée».

 « Certains pensent qu’interdire ou exercer une pression sur la prise en charge de la langue française dans la société algérienne, ils punirait la France. C’est une grossière erreur. On se punit soi-même », prévient le linguiste.

Mettre en concurrence l’anglais et le français « n’est pas logique »

Le poids et le rayonnement des langues se mesurent, selon le linguiste,  à l’aune de la production scientifique produite dans chacune des langues.

« Aujourd’hui on peut prendre certains critères d’analyse. Par exemple, au niveau de l’élite universitaire, combien y a-t-il d’articles scientifiques publiés dans des revues scientifiques de haut niveau en langue française, combien y en a-t-il en langue arabe et en langue anglaise ? », demande-t-il.

Selon Dourari, le ministère de l’Enseignement supérieur pourrait être inspiré de dévoiler combien d’articles ont été publiés en langue française, combien en langue anglaise et le cas échéant en langue arabe, par exemple sur une période de dix ans.

« On se rendra compte que ce que nous sommes en train de faire est une grossière erreur contre l’Algérie. La France ne va pas en souffrir plus que cela », tacle le chercheur.

Le Pr Dourai se montre très critique vis-à-vis des « gens qui sont en train de mener l’arabisation » dans différentes institutions de l’Etat à qui il reproche de ne pas maîtriser eux-mêmes l’arabe.

Et pour cause. « L’Algérie s’est contentée d’enseigner cette langue de manière idéologique. Il n’y a pas une maîtrise réelle de l’arabe, de même qu’il n’y a pas de production dans cette langue ou très peu », avance le Pr Dourari qui conteste l’idée selon laquelle l’anglais devra remplacer le français dans l’enseignement.

 « On voudrait mettre une espèce de concurrence entre l’anglais et le français. Or, elle n’est pas logique. Ce qui doit l’être est que l’élite universitaire maîtrise ces deux langues. Et non pas alternativement entre le français ou l’anglais », plaide le Pr Dourari.

« Quand on considère que la langue française est celle du colonisateur, on oublie que l’anglais est la langue de l’impérialisme mondial » incarné par les Etats-Unis d’Amérique qui sont une puissance qui est loin d’être « amicale » envers les Algériens et les pays arabes, estime Abderrazak Dourari.

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