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Reportage. À El Hamoul près d’Oran, les habitants se mobilisent pour sauver le projet de l’usine Peugeot

Reportage. À El Hamoul près d’Oran, les habitants se mobilisent pour sauver le projet de l’usine Peugeot

El Hamoul, à une quinzaine de kilomètres au sud d’Oran. La paisible localité à vocation agricole connaît depuis quelques semaines une ébullition inhabituelle.

En cause, le report du lancement des travaux du chantier de la future usine du groupe PSA (Peugeot-Citroën) qui devrait être implantée non loin de ce village relevant de la commune d’El Kerma.

Les habitants, éreintés par le chômage et la mal vie, placent beaucoup d’espoirs sur ce projet susceptible de sortir leur localité de la précarité. Mais ils craignent que les péripéties de ces derniers jours ne débouchent sur la délocalisation de l’usine. Reportage.

Des jeunes et moins jeunes, des agriculteurs et des membres de la société civile se sont rassemblés en cette matinée du mercredi 6 juin devant le minuscule siège de l’annexe communale d’El Hamoul.

Bouheda Ahmed, la soixantaine, pend la parole. « Nous ne devons pas céder. Ce n’est pas à cause de l’opposition d’un seul individu qu’on laissera délocaliser une usine d’une telle envergure et qui changera entièrement l’aspect de notre localité. Je suis moi-même agriculteur et concerné par l’expropriation, mais je vois d’abord l’intérêt de la collectivité, d’autant plus que je serai indemnisé. N’oublions pas surtout que ces terres que nous exploitons dans le cadre de collectivités ne sont pas toutes fertiles.»

120 hectares, c’est la superficie de terres agricoles que le wali d’Oran a déclassifiées pour les besoins du projet. Dans le même arrêté, les montants de l’indemnisation des agriculteurs des quatre concessions sont fixés, pour un total d’un peu plus de dix milliards de centimes.

C’était le 13 novembre 2017, soit quelques mois après l’annonce du choix de la wilaya d’Oran, où est déjà implantée l’usine de montage de Renault, pour abriter les ateliers de l’autre géant français de l’automobile.

Le choix de l’emplacement n’est pas fortuit. La parcelle est située au sein d’une vaste étendue de terres nues entre El Hamoul au sud et le chef-lieu de la commune d’El Karma au Nord.

Du côté ouest, la célèbre Sebkha d’Oran, le lac salé qui s’étend sur 40 kilomètres de longueur et 13 de largeur, et à l’Est, l’autoroute et la ligne de chemin de fer qui desservent la ville d’Oran.

De plus, les terres déclassifiées sont les moins fertiles de la zone, conformément à une instruction gouvernementale autorisant les walis à déclassifier des terres peu fertiles au profit de la réalisation de projets industriels.

Les études architecturales et techniques ont été effectuées et, en février dernier, une enveloppe de 600 millions de dinars (60 milliards de centimes) a été dégagée pour l’aménagement de la zone.

Un prétexte pour délocaliser l’usine ?

Les travaux devaient commencer en avril dernier, mais coup de théâtre, le wali décide subitement d’annuler la déclassification prononcée quelques mois plutôt. Les indemnisations sont elles aussi gelées.

Lire : Usine Peugeot Algérie : début des travaux en avril, entrée en production le 1er trimestre 2019

A l’origine de cette volte-face, la montée au créneau de l’un des agriculteurs qui exploitent les terres en concession. Lazhari H’midi, un éleveur, s’est exprimé via une vidéo postée sur Youtube, puis reprise par de nombreux médias, dénonçant son expropriation et criant au bradage des terres agricoles.

Les choses se sont très vite passées et c’est tout le projet qui s’est retrouvé remis en cause. Les autres concessionnaires et les habitants d’El Hamoul n’en reviennent pas.

« Comment un seul individu a-t-il pu faire annuler une décision de l’Etat algérien, portant de surcroît sur un projet d’envergure et stratégique ? L’administration algérienne répond donc maintenant avec célérité aux doléances des citoyens, sans même essayer de s’assurer de la véracité de ce qui a été dit ? L’intérêt d’un seul homme prime-t-il sur celui de toute une wilaya, voire tout un pays ? Non, je ne pense pas que les choses se soient passées comme cela. Je crois que des parties tapies dans l’ombre ont tout manigancé pour bloquer le projet ou le délocaliser. L’opposition de M. Lazhari ne fut qu’un prétexte pour agir », estime un membre de la société civile d’El Kerma qui s’active dans tous les sens pour sauver l’investissement.

Rumeurs

En l’absence de communication des parties habilitées, la rumeur prend le relais. La plus instante donne le projet annulé et délocalisé vers Bejaïa, pour des considérations « régionalistes ».

La même wilaya où, le 14 mai dernier, on criait à tue-tête lors d’une marche de soutien aux travailleurs de Cevital, que le projet de réalisation d’une usine pétrochimique a été « détourné », pour les mêmes considérations, vers la wilaya… d’Oran. Ahurissant ! C’est à croire que ces rumeurs ne sont pas le fait de la vox-populi, mais bien d’officines spécialisées, à des fins inavouées.

Les habitants ne comprennent plus rien, d’autant plus, témoigne Bouhenna Ahmed, Lazhari H’midi, que nous n’avons pu joindre, avait accepté dans un premier temps le principe de l’indemnisation avant de changer subitement d’avis.

Une parcelle peu fertile

Quoiqu’il en soit, à El Hamoul, on insiste sur le fait que les terres choisies pour le projet ne sont pas très fertiles et que, de ce fait, les destiner à l’industrie serait plus rentable.

M. Bouheda insiste sur ce point : « La région a une vocation agricole, mais la terre n’est pas très fertile. Par endroits, elle est même incultivable à cause de la forte salinité. A mesure qu’on avance vers l’Ouest, c’est-à-dire vers la sebkha, la salinité devient importante. »

À en croire cet agriculteur, comptable de formation, 50% des 120 hectares déclassifiés souffrent de salinité, tandis que l’autre moitié est, certes, cultivable, mais peu fertile. «Nous ne cultivons que des céréales. Nous n’avons jamais dépassé un rendement de 12 quintaux à l’hectare. Nous avons essayé l’arboriculture, mais ça n’a pas marché. Les amandiers et les pieds de vigne que j’ai plantés n’ont pas résisté à la forte salinité », ajoute le fellah.

Pour lui, les terrains proches de la sebkha devraient être entièrement dédiés à l’industrie, aux chambres froides et autres activités.

Sur plusieurs kilomètres au nord, en allant vers Oran, s’étendent de vastes champs d’orge et de blé tendre non encore fauchés en ce début juin, et qui donnent à la région l’aspect d’un véritable bassin céréalier. Mais ce n’est qu’illusion semble-t-il.

Les habitants ne divergent pas sur les faibles rendements réalisés à cause de la salinité et des aléas de la météo. « Cette saison, les cultures sont relativement bonnes grâce à une pluviométrie abondante, ce qui n’a pas toujours été le cas », assure Mohamed, un autre agriculteur.

Mais les fortes pluies ne semblent être d’aucune utilité pour la bande de terre qui longe la sebkha du sud au nord, avec son aspect désertique. Pas un arbre et pas un brin d’herbe pour justifier l’annulation de la déclassification de la parcelle comme terre agricole.

Mohamed exige seulement à être indemnisé. Avec l’argent qu’il percevra, il compte payer ses dettes auprès de la compagnie d’assurance et de la banque et se lancer dans une autre activité qu’il croit plus rentable, l’engraissement de bovins.

Précision utile, ces terres ne sont pas la pleine propriété des agriculteurs. Biens vacants à l’indépendance, elles ont été affectées par la suite à des coopératives publiques et privées. En 2014, les agriculteurs ont obtenu des actes de jouissance pour 40 ans. N’empêche qu’ils devraient empocher chacun en moyenne environ 4 millions de dinars au titre de l’expropriation.

« Nous voulons travailler »

Si les agriculteurs se soucient de leur indemnisation, les habitants d’El Hamoul, eux, veulent sauver le projet d’usine qui, ils en sont convaincus, changera leur vie.

Miloud a l’espoir de voir enfin les enfants du village avoir un travail digne de ce nom. « Nos enfants se contentent de petits métiers précaires, comme journaliers dans les champs ou les chantiers. Seul un projet de cette envergure pourra les extirper à la précarité et aux fléaux sociaux qui font des ravages », espère le septuagénaire. L’usine devrait en effet générer à terme 1000 emplois directs et 1500 autres indirects. De quoi réduire considérablement le chômage qui sévit dans la commune d’El Kerma (40 000 habitants) et même dans les communes environnantes, comme celle de Tafraoui. Ne sachant pas où s’adresser, les postulants ont commencé à déposer leurs CV au niveau du siège de l’APC. Plus d’un millier de demandes sont d’ores et déjà déposées, nous dit-on.

L’usine devrait produire 75 000 véhicules par an à l’horizon 2020, pour atteindre ensuite les 100 000 unités par an.

Les 120 hectares déclassifiés ne seront pas entièrement destinés à l’usine de montage, puisque plusieurs sous-traitants s’y installeront, comme Faurecia, Leoni, Treves et Plastic Omnium qui fourniront l’usine en sièges, échappements, pare-chocs…

C’est pourquoi, les jeunes d’El Hamoul tiennent énormément à ce que le projet aboutisse. Une pétition a été initiée et des dizaines de signatures de comités de quartier et de village ont déjà été collectées. « Nous sommes des pères de famille, nous en avons assez de la précarité. Nous voulons travailler et assurer une vie décente à nos enfants. Un tel projet ne créera pas seulement des postes d’emploi, mais créera une véritable activité tout autour de la zone », assure Benatou, 37 ans, qui active au sein de la société civile pour empêcher la délocalisation de l’usine.

« Il y a anguille sous roche »

Miloud, le septuagénaire, y voit d’autres avantages : «Actuellement, nous manquons de beaucoup de commodités. Avec l’installation de l’usine, les autorités seront dans l’obligation de raccorder toute la zone au réseau de gaz de ville, d’améliorer l’approvisionnement en eau potable et de créer d’autres voies d’accès à l’autoroute. »

À entendre les habitants, l’usine changera leur vie. C’est pourquoi ils ne comprennent pas qu’un tel projet puisse être bloqué, annulé ou délocalisé, surtout que le motif invoqué, à savoir la préservation des terres agricoles, ne tient pas la route. Ils rappellent surtout que l’usine Renault a été implantée sur des terres fertiles et fait aujourd’hui le bonheur des habitants de Oued Tlélat, à quelques encablures des lieux.

« Il y a anguille sous roche. Je pense qu’il y a deux explications possibles à ce qui se passe. Soit on cherche à empêcher Peugeot de s’installer en Algérie, soit on a cédé à la pression de ceux qui dénoncent le fait que la quasi-totalité des usines d’assemblage de véhicules soient installées à l’ouest du pays », estime un citoyen sous couvert de l’anonymat. Quoi qu’il en soit, les habitants d’El Hamoul veulent comprendre. Ils ne souhaitent surtout pas être le dindon de la farce…

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