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Reportage. Boufarik, berceau de l’Orangina et de la zlabia

Reportage. Boufarik, berceau de l’Orangina et de la zlabia

Boufarik, situé à 35 km au sud-ouest d’Alger, est l’unique ville d’Algérie qui accueille le visiteur avec une douceur. Des échoppes proposant de la zlabia sont installées, l’une à côté de l’autre, des deux côtés de l’un des accès de la cité, en venant d’Alger.

 D’importantes quantités de ce succulent et tentant gâteau sont empilées devant ces vieilles boutiques, au-dessus desquels virevoltent des nuées d’abeilles.

Boufarik est réputé pour sa zlabia, dont on ignore l’origine exacte. Certains attribuent son introduction dans le pays aux Turcs, d’autres aux Andalous expulsés d’Espagne à partir de 1492.

Les natifs de la ville maîtrisent, tous ou presque tous, la préparation de la zlabia, mais seules, semble-t-il, une poignée de familles en détient la bonne recette et le savoir-faire qui se transmettent de génération en génération, dans le cercle familial. Leurs membres en produisent et commercialisent uniquement durant le mois de ramadan.

Boufarik est célèbre aussi pour ses juteuses et savoureuses oranges. Il est le berceau de l’Orangina, la fameuse boisson gazeuse vendue dans des bouteilles en forme d’orange, qui « supplie » le consommateur de la secouer avant de la lamper.

Elle est née d’une rencontre inopinée entre un colon de Boufarik, Jean-Claude Beton, et un Dr en pharmacie espagnol de Valencia, Augustin Trigo Morralès, lors d’une foire agricole à Marseille au début des années 1930.

Trigo Morralès produisait déjà en 1932, dans sa ville, une boisson commercialisée sous l’appellation de « Naranjina », qui signifie orange dans la langue de Miguel de Cervantès, l’auteur de Don Quichotte de la Manche, captif pendant cinq ans des Janissaires de la Régence ottomane d’Alger.

Elle était exportée et distribuée dans certaines villes d’Europe, notamment en France. Elle était accompagnée d’une campagne publicitaire, toute simple et très explicite, dans la presse. « Jus et pulpes d’oranges. Avoir une bouteille de Naranjina équivaut à une corbeille de fruits », disait un texte publicitaire datant de 1932.

Une autre campagne publicitaire, lancée l’année suivante (1933) en France, mettait l’accent sur « les vertus thérapeutiques de l’orange et les bienfaits que procure à l’organisme le jus de ce fruit merveilleux ».

Plaque tournante commerciale

Pendant sa production à Boufarik, cette boisson était vendue sous le nom d’« Orangina, boisson de Naranjina ». Les locaux de la première usine existent encore. Mais, ils sont transformés en entrepôt.

L’idéal serait de les convertir en site touristique où seront exposés des bouteilles, des affiches, des coupures de journaux de l’époque et des machines réformées de la marque. Avec, dans un coin, un espace où les visiteurs pourraient siroter une Orangina et, dans un autre endroit du même site, une boutique où ils pourraient acheter des packs de cette boisson à emporter.

Boufarik a de tout temps été une ville industrielle. Il abritait, au19è  siècle déjà, des ateliers de fabrication de machines et d’outils agricoles et plusieurs distilleries d’essences de fleurs, dont celle de géranium.

La ville est bâtie sur l’emplacement d’un ancien marché important qui se tenait tous les lundis. Il aurait été fondé, selon la tradition, par des pèlerins autochtones qui venaient visiter le mausolée du saint Sidi Abdelkader El-Djilani (1078-1166).

Il s’était développé à partir du milieu du 16è siècle sous l’occupation turque et puis avec la colonisation française. Vendeurs, acheteurs et badauds venaient des différents villages et hameaux de la plaine de la Mitidja, mais également des montagnes et des régions limitrophes.

Marché hebdomadaire « où, depuis des lustres, les hommes des tribus de la région, se rencontraient avec les marchands, pour des échanges et s’informer », écrivait le journaliste et écrivain Mohamed Arabdiou, natif de la ville.

L’activité avait chuté au début de la colonisation française, à cause des affrontements et accrochages violents et sanglants entre les habitants de la région et les troupes coloniales.

La foudre n’avait pas cessé de tonner pendant plusieurs décennies, entrecoupées de quelques passagères accalmies. L’insécurité y régnait en maîtresse absolue dans toute la Mitidja. Les attaques et embuscades répétées des autochtones avaient fait réagir le maréchal Thomas Robert Bugeaud, alors gouverneur général de l’Algérie.

Il avait demandé aux colons de quitter les lieux, de déguerpir. « Si j’ai un conseil à vous donner, c’est de faire vos paquets et de filer sur Alger ; arrangez-vous comme vous voulez, mais je vous préviens que je vous enlèverai la garnison », leur lança-t-il en 1841, moins d’une année après sa désignation à la tête de l’Algérie.

La garnison était maintenue. Boufarik comptait à cette date 480 colons, des Français en majorité, puis 1 928 au 31 décembre 1846 et 5 319 à la même période de 1866.

Paralysé durant plusieurs années, le marché de Boufarik reprit, timidement, son activité à partir de 1842/1843. Les statistiques évaluaient à 530 000 le nombre de bêtes amenées à ce marché en 1928, dont 500 000 moutons. À la même période, la ville comptait 13 000 habitants, contre 11 000 en 1911 et 9 000 en 1910, autochtones et colons confondus.

Jusqu’aux années 1970 et 1980, le marché de Boufarik rayonnait encore sur le centre nord de l’Algérie. Il était devenu la plaque tournante commerciale de la Mitidja et des régions environnantes. Il drainait des milliers de personnes. On y trouvait de tout : produits alimentaires, bestiaux, vêtements, ustensiles de cuisine, outils agricoles, etc. Il était fort bien achalandé.

En 1830, cet endroit était décrit comme étant un terrain nu qui accueillait le marché hebdomadaire. Il contenait juste deux puits et le mausolée de Sidi Abdelkader El-Djilani. Les quelques arbres se trouvant sur les lieux servaient parfois de gibets, où étaient pendus les autochtones qui refusaient de s’acquitter de leurs impôts, où qui osaient exprimer leur hostilité aux comportements et agissements répressifs des Turcs et de leurs supplétifs locaux.

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De M’dina d’Erlon à Boufarik

Au plan commercial, les choses allaient relativement bien jusqu’à ce jour fatidique du débarquement du général Drouet-d’Erlon, en 1835, et l’édification, l’année suivante, du Camp qui portait son nom.

Celui-ci pouvait contenir 1 500 soldats et 600 chevaux. Sa création visait à « réprimer facilement les nombreux actes d’hostilités des indigènes », lit-on dans des récits de l’époque.

En 1836, les premiers colons édifiaient, déjà, leurs maisons autour de la caserne, suivis de l’ouverture de quelques boutiques et des estaminets pour la distraction des soldats du général d’Erlon.

En avril de la même année, la maréchal Bertrand Clauzel, nommé gouverneur général d’Algérie l’année précédente, pondait un arrêté avisant de la prochaine naissance de la commune de Boufarik.

Le texte annonçait la mise en place d’ « une commission » chargée de « proposer les bases de la circonscription de la commune de Boufarik et pour désigner le point où devra être fixé le chef-lieu ».

Le maréchal Clauzel voulait hâter le pas de la colonisation de peuplement. Il multipliait les mesures dans ce sens. Comme celles qui consistaient à concéder des terres aux colons. C’est lui qui avait mis en œuvre la première organisation de la colonisation officielle.

C’est ainsi qu’est né Boufarik, en plein cœur de plaine de la Mitidja. Un territoire immense. C’est le maréchal Clauzel qui avait signé, le 27 septembre 1836, le premier arrêté portant la cession de trois lots de terre agricole à chaque colon. Les terres entourant la caserne d’Erlon devaient être affectées à la construction des maisons de la « M’dina (ville) d’Erlon », premier nom donné à Boufarik.

Les choses s’étaient précipitées après la désignation, en 1841, du maréchal Bugeaud en qualité de gouverneur général. Ce « colonisateur ardent » s’était fixé pour objectif principal le peuplement de l’Algérie et sa pacification par les armes.

Il avait lancé une grande campagne, via la presse métropolitaine, visant à attirer plus d’immigrants français en Algérie. Il avait fondé, pour ce faire, plusieurs villages au profit des colons, dont 31 entre 1843 et 1844. Ce plan, abandonné pendant une période, avait été relancé plus tard.

Les colons, attirés par les concessions des terres agricoles expropriées aux propriétaires turcs et autochtones, affluaient en grand nombre à Boufarik. L’hôpital, la chapelle et quelques débits de boissons alcoolisées avaient vu le jour bien avant la fondation officielle de la ville.

L’église avait été édifiée en 1846. La duchesse d’Orléans avait contribué au financement de cet édifice religieux à hauteur de 30 000 Francs. Le coût global de sa construction s’élevait à plus de 104 400 francs. La première école avait ouvert ses portes la même année, avec 28 élèves « de sexe masculin ».

Le « colon Horace Vernet »

C’était le début de la colonisation de peuplement de la Mitidja. Aux Français, s’étaient joints des Espagnols, des Italiens et des Israélites. Expropriés de leurs terres, ruinés, pourchassés, les autochtones s’étaient retirés vers les monts de l’Atlas blidéen.

Parmi les premiers bénéficiaires des terres confisquées figurait l’artiste peinte Horace Vernet. Il avait « hérité » du haouch Ben-Koula, d’une superficie de près de mille hectares. « Le haouch Ben-Koula, d’une étendue de 997 hectares, était situé sur un sol marécageux à 5 km à l’ouest de Boufarik. Son propriétaire, le peintre Horace Vernet, qui l’avait acquis en 1833, le faisait exploiter depuis 1843 par un fermier aidé d’un personnel de 16 hommes et de 4 femmes. Quatre ans après, 150 hectares était ensemencés de céréales, 12 loués à des arabes pour faire du maïs, 400 couverts de prairies ; le reste, inculte, servant de pacage des bestiaux de la ferme qui comptait 33 chevaux et 24 bœufs ou vaches. Neuf sources locales permettaient d’irriguer ce domaine », selon un rapport publié dans un document du Congrès de la colonisation rurale de 1930. Le peintre l’avait vendu quelques années avant son décès à Paris le 17 janvier 1863.

Cent vingt-quatre ans après le « colon Horace Vernet » — l’expression était d’un auteur français de l’époque — Eliette Loup, française née en 1934 dans la ferme familiale à Boufarik, rejoignait la résistance algérienne.

Elle n’avait que 20 ans. Elle avait choisi son camp, celui de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, son pays. Elle faisait agent de liaison jusqu’à son arrestation en 1957 et sa condamnation à deux ans de prison.

Elle avait été incarcérée à Barberousse. C’est dans cette prison qu’elle avait rencontré Louisa Ighilahriz, cette grande résistante de la guerre d’indépendance, qu’on croisait les vendredis aux côtés des manifestants du « Hirak » dans les rues d’Alger.

Boufarik-ville, qui est à la fois chef-lieu de la daïra et de la mairie du même nom, renferme peu de sites touristiques. On peut citer la bâtisse de la première mairie de la ville construite au début des années 1870, et l’ancienne église qui abrite aujourd’hui des activités culturelles, dont celles d’une association de musique andalouse.

Cet ancien édifice religieux dispose d’une superbe terrasse offrant une vue panoramique sur la ville, notamment sur l’artère principale, la route nationale n° 61, qui la traverse d’est en ouest sur plusieurs kilomètres.

Un détour par Boufarik est recommandé. Ne serait-ce que pour connaître la ville, ses artères ombragées par d’impressionnants platanes datant de 1853, et, surtout, goûter sa spécialité. La zlabia, pardi !

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