Économie

Sécheresse en Algérie : « Voyez ce champ, d’habitude il est vert… »

Dans son champ sinistré à Constantine, Mostefa Debbah a sa mine des mauvais jours. La sécheresse qui frappe l’Algérie a réduit à néant ses espoirs d’une bonne récolte. Cet agriculteur modèle s’interroge sur l’avenir. Faudra-t-il que l’État efface les dettes des agriculteurs ?

Casquette vissée sur la tête, il parcourt un champ jauni et aux épis clairsemés et en ce début de mai confie à El Hayat TV : « Les frais de culture d’un hectare de blé correspondent à l’équivalent de 22 quintaux de blé, c’est à dire entre 140.000 et 150.000 DA. Nous avons respecté l’itinéraire technique comme il se doit. Nous avons travaillé et nous nous sommes fatigués nous et nos enfants, mais il n’y a rien cette année avec la sécheresse et le réchauffement climatique. Voyez ce champ, d’habitude en mai il est vert. Cette année, c’est une saison difficile qui nous dépasse ».

Sécheresse en Algérie : « Regardez ce champ… »

Le découragement de l’agriculteur est visible. Or, il ne s’agit pas d’un agriculteur d’une zone marginale, mais d’un céréalier reconnu et respecté pour la qualité de son travail.

Il est d’ailleurs un des représentants de la filière céréales à Constantine. Un agriculteur qui est invité à Radio Cirta, la radio locale, quand il s’agit de traiter de questions agricoles comme dans le cas de la lutte contre le brome.

Cette mauvaise herbe constitue un fléau dans la région. Mostefa Debbah n’est pas un de ces agriculteurs qui travaillent la terre seulement une année sur deux pour laisser pâturer des moutons sur les jachères. Entre deux cultures de blé, il cultive des fourrages ou des lentilles.

Questionné sur l’étendue des effets de la sécheresse, il poursuit : « Notre wilaya est réputée pour ses céréales, c’est une région modèle, nous produisons habituellement jusqu’à 2 millions de quintaux de blé. Nous produisons également des semences. Mais cette année, il n’y a rien. Et c’est comme cela dans les communes voisines comme à Aïn Smara, Aïn Abid, El Karma et Ben Ziyed parfois sinistrées à 100 % ».

Pour cet agriculteur, l’avenir passe par l’irrigation de complément. Aussi s’interroge-t-il sur le transfert des eaux du barrage de Ben Haroun : « Nous demandons d’avoir notre quota d’eau. Les wilayas d’Oum El Bouaghi, Khenchela et Aïn Mlila en bénéficient alors que cela n’est pas notre cas ».

Quand on lui demande comment il voit l’avenir, Mostefa Debbah indique : « Les agriculteurs font des efforts mais, on demande que l’État nous aide »

Il énumère les doléances des agriculteurs : « Les dettes, heu… ». Il s’arrête un instant comme un peu gêné puis reprend : « On demande que l’État les efface pour que les agriculteurs soient soutenus afin de poursuivre leur travail les années à venir ».

Il ajoute : « Cela, c’est la première demande. Ensuite, il faut que l’État nous aide avec des retenues collinaires pour que nous puissions procéder à l’irrigation de complément des céréales ».

Pour Abdelghani Benali, le président du Conseil national de la filière céréales, il s’agit également de renforcer le système de l’assurance agricole et de l’adapter aux nouveaux types de calamités agricoles.

Sécheresse et réserves de productivité

La sécheresse de 2023 qui frappe l’Algérie restera certainement dans toutes les mémoires. Pour l’hydrogéologue Malek Abdesselam de l’université de Tizi-Ouzou, « c’est l’année hydrologique la plus sèche depuis 1984 et même depuis 1907 ».

Bien que les céréaliers de Constantine soient de grands professionnels, il reste à explorer les voies nouvelles de l’aridoculture ou dry-farming.

Pour le professeur Arezki Mekliche de l’École nationale supérieure d’agronomie (Ensa) qui intervenait récemment sur les ondes de la Radio algérienne, « il y a lieu de s’orienter, de plus en plus, vers l’agriculture de conservation, qui favorise l’infiltration de l’eau et la réduction de son évaporation ».

Ce type d’agriculture utilisée dans les grandes plaines canadiennes et en Australie sur des milliers d’hectares consiste à abandonner le labour au profit du semis direct, laisser une partie de la paille au sol et introduire d’autres cultures que celles des céréales. Un procédé qui permet de recourir à l’irrigation d’appoint.

Récemment des cadres de la station de l’Institut Technique des Grandes Cultures (ITGC) de Sétif ont remarqué que partout où de la paille avait été entreposée momentanément dans un champ, le blé gardait sa couleur verte contrairement au reste de la parcelle.

Une observation qui vient confirmer les préceptes de l’agriculture de conservation avec le nécessaire retour au sol d’une partie de la paille pour maintenir la fertilité des sols et sa capacité à retenir l’humidité des pluies.

La paille entre mouton et sol

Avec la sécheresse, la paille est un produit particulièrement courtisé par les éleveurs de moutons. Agriculteurs et commerçants n’hésitent pas à utiliser les réseaux sociaux comme dans le cas de la page Facebook « Souk de la paille et des fourrages des 58 wilayas ». C’est le cas d’Abdelhak qui y propose pour les wilayas de Chlef, Aïn Defla, Relizane ou Oran une cargaison montée sur une remorque de camion à trois essieux comprenant plusieurs centaines de bottes de paille.

Entre nourrir des moutons avec cette paille ou l’utiliser pour améliorer la capacité du sol à emmagasiner plus d’eau, il faudra choisir. Mais que peuvent actuellement les services agricoles pour faire pencher la balance du bon côté ?

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