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Soufiane Djilali : « Les Algériens ne font plus confiance… »

Soufiane Djilali : « Les Algériens ne font plus confiance… »

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Soufiane Djilali, président de Jil Jadid.

Dans cet entretien, le président de Jil Jadid, Soufiane Djilali, revient sur sa rencontre lundi avec le président de la République, et la situation politique en Algérie.

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Il formule des propositions pour établir un consensus et envoie quelques flèches à l’encontre d’une certaine opposition…

TSA. Vous avez rencontré le président de la République lundi. Dans quel cadre ? De quoi avez-vous discuté ?

Soufiane Djilali. Il est tout à fait naturel et même recommandable de mon point de vue que le président de la République reçoive des responsables de partis politiques pour parler des affaires du pays.

Il voulait connaître l’opinion d’un parti d’opposition. De notre côté, nous avions des interrogations et un point de vue politique à décliner. Cette démarche devrait d’ailleurs devenir une tradition.

Quant à la discussion elle-même, elle a permis d’aborder toute l’actualité. Il n’y avait pas la contrainte d’un ordre du jour précis ni de limites posées à priori.

Nous avons échangé sur les questions concernant les médias, la justice, l’économie, les relations extérieures, etc..

TSA. Qu’avez-vous dit au président de la République ?

Soufiane Djilali. Il serait bien trop long de revenir sur les détails de la discussion. Je peux vous dire que pour ma part, j’ai abordé plusieurs points qui avaient d’ailleurs fait l’objet d’un communiqué du Conseil politique de Jil Jadid publié avant la rencontre et qui avait trouvé échos sur votre site.

L’Algérie sort à peine d’une longue période de déstructuration de l’État et d’une dégradation très profonde de tout le système de gouvernance.

Reconstruire le pays ne va pas se faire sans douleur. C’est pour cela qu’un consensus est nécessaire. J’ai exprimé ma préoccupation quant à la situation des médias nationaux, à l’absence de débats ouverts et contradictoires, à la faiblesse évidente de la communication gouvernementale etc…

Il y a des événements qui retentissent fortement auprès de l’opinion publique mais qui ne sont pas traités, à mon sens, de manière convaincante par les autorités publiques.

La rencontre avec le président a été également l’occasion pour moi de réaffirmer la nécessité de libérer l’économie de l’étouffante tutelle d’une administration trop souvent source de blocage et de corruption.

Je comprends parfaitement la démarche qui consiste à encourager la production nationale au détriment de l’importation. Cependant, cela se fait par à-coups, avec des décisions parcellaires et très dirigistes. J’imagine qu’il s’agit souvent de décisions d’urgence en attendant le nouveau Code des investissements.

De manière plus ponctuelle, j’ai abordé la question de la sécurité de nos réserves en devises, de leur nature, etc.

J’ai enfin défendu l’idée qu’à la lumière de l’augmentation du prix de l’énergie sur le marché mondial probablement de manière structurelle, que l’Algérie devrait faire valoir ses avantages comparatifs et attirer ainsi les investisseurs européens qui auront de plus en plus de mal à rester concurrentiels s’ils devaient produire en Europe.

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L’Algérie a de l’énergie, des matières premières, une jeunesse mobilisable, une proximité avec le vieux continent… tous les atouts pour lancer une production industrielle de qualité. L’Algérie avait raté l’opportunité qui avait suivi la crise de 2008. Il ne faut pas refaire la même erreur.

TSA. Le président du Conseil de la Nation a évoqué récemment une nouvelle initiative politique au nom du président de la République. Avez-vous discuté de cette initiative ? Si oui, de quoi s’agit-il ?

Soufiane Djilali.  Le président ne m’a pas donné plus de détails. Il ne m’a pas informé d’une initiative particulière sinon qu’il voulait faire participer les partis politiques à ce dialogue ou à une réflexion sur des choix socio-économiques à venir.

TSA. Votre parti a jugé important que l’Algérie retrouve un consensus politique pour renouer les fils de la confiance. Ce consensus est-il possible dans le contexte actuel ?

La cohésion du pays a été mise à mal ces dernières années. La confiance en nos institutions politiques a été ébranlée après des années de gabegie politique et de prédation économique.

Reconstruire un lien de confiance entre gouvernés et gouvernants est vital.  Cela commence par l’écoute, le dialogue et l’arbitrage des conflits de la manière la plus juste qui soit. Et pour cela, il n’est jamais trop tard pour bien faire. C’est la volonté politique qui crée le contexte et non pas l’inverse.

TSA. Le pouvoir ne fait-il pas cavalier seul dans tous les domaines politique, économique et social ?

Il n’y a pas de doute que l’Algérie ne possède pas encore des institutions suffisamment fortes et une classe politique expérimentée et stabilisée.

La démocratie ne peut fleurir spontanément. Il est nécessaire que le pouvoir s’ouvre à la société politique et abandonne ses pratiques de centralisation excessive et la pratique des oukases.

De son côté, une certaine opposition doit sortir de ses illusions révolutionnaires et s’atteler à défendre ses options par un militantisme actif, sérieux et loin de la démagogie propagandiste.

Le pays est mûr pour une évolution qualitative. Il faut l’aider à faire le saut par l’exercice de la responsabilité et non pas par une attitude immature d’un nihilisme puéril.

TSA. Les différents scrutins organisés depuis 2019 n’étaient-ils pas justement destinés à rebâtir cette confiance qui a été anéantie à cause de la gestion catastrophique du pays par l’ancien régime ?

Oui, absolument. Mais force est de constater que ces différents scrutins auxquels Jil Jadid a pris part, n’ont pas réussi à créer le déclic populaire pour refonder cette confiance.

L’enjeu est là. Les Algériens ont une aversion de leur système politique et ne font plus confiance ni au pouvoir ni à l’opposition. Que faut-il faire dans ces cas-là ?

Il y a ceux qui voulaient le changement radical et total (Yatnahaou gaa), le changement de nature de l’État (Madania machi aaskariya) et même se défaire des institutions sécuritaires, faisant l’amalgame entre celles-ci et le terrorisme.

Ils accusaient de trahison tous ceux qui attiraient l’attention sur l’extrême gravité d’une telle option qui pourrait mener à de très graves troubles, voire à de la violence et au chaos.

Il y a aussi l’idée, et c’est notre position, qu’il faut s’organiser, former de vrais politiques, travailler sur le terrain, gagner au prix d’un effort continu de nouveaux espaces depuis les collectivités locales jusqu’au niveau national. Cela demande beaucoup de temps et de sacrifices mais il n’y a pas d’autres issues viables à notre sens.

TSA. Comment expliquez-vous la fermeture des médias à l’opposition que votre parti dénonce souvent ?

Je crois qu’il y a eu d’abord un réflexe sécuritaire qui s’est imposé face à une déferlante de contestation et même d’insubordination qui pouvait déstabiliser l’État.

Pourtant, fermer les médias pour calmer les esprits peut devenir contre productif. Stériliser le débat en interne et entraver une classe politique respectueuse de l’ordre républicain ouvre tout l’espace médiatique à des personnages subversifs dont le profil balance entre la psychopathie, le mercenariat ou l’agitation.

Pour contrebalancer les réseaux sociaux et éventuellement leur instrumentation par des officines étrangères qui veulent mettre sous pression le pouvoir algérien, il faut ouvrir l’espace médiatique à des organes crédibles, sérieux et professionnels.

Je sais qu’ils ne sont pas légion mais je reste persuadé qu’une politique subtile et audacieuse peut permettre l’éclosion d’un journalisme de qualité. En dehors de quelques excès blâmables, dans leur grande majorité, les journalistes comprennent les enjeux et sont d’abord patriotes.

TSA. Les arrestations, condamnations et remises en liberté d’activistes et autres militants se poursuivent. Un activiste est même mort en prison sans aucune explication officielle. Pourquoi ?

Soufiane Djilali. Oui, nous en avions parlé dans notre dernier communiqué. La gestion sécuritaire et judiciaire des activistes est mal vécue par l’opinion publique.

Elle constitue l’un des nœuds psychologiques pour aller vers un rapport plus serein avec les institutions politiques. Je ne sais pas ce qui peut relever d’un abus d’autorité ou carrément d’une répression des libertés.

Ce que je sais, c’est qu’il n’y a pas suffisamment d’explications de la part de l’institution judiciaire et l’absence de communication devient problématique. À partir de là, toutes les supputations deviennent possibles. On ne sait plus ce qui est vrai et ce qui est faux, ce qui est légitime et ce qui est de la propagande qui cache des faits répréhensibles. D’où le malaise. 

TSA. Dans ce contexte, un consensus est-il possible ? Une nouvelle initiative politique a-t-elle une chance de réussir ?

Soufiane Djilali. C’est lorsqu’il y a des crises, des crispations ou des malentendus qu’il faut dialoguer. L’opposition radicale a fait une lourde erreur stratégique lorsqu’elle avait systématiquement refusé tout dialogue et s’était campée dans un refus stérile et un blabla virtuel.

J’espère qu’elle a eu le temps de méditer l’absurdité d’une telle logique. Imaginons qu’en Juillet 2019 ou en février 2020, toute l’opposition avait accepté de dialoguer et d’aller aux élections ?

Une présence significative de celle-ci au sein des institutions, même minoritaire, aurait changé la donne. En réalité, la bouderie et le boycott ont travaillé pour les anciens appareils.

Au lendemain des législatives, les radicaux étaient heureux que les Algériens aient refusé de participer au vote. Le nihilisme a gagné, les Algériens ont perdu ! Voyez-vous, le taghenanete et l’entêtement sont tout simplement suicidaires.

Aujourd’hui, il y a peut-être de nouveau une opportunité. L’État algérien doit se préparer à des évolutions. Avant d’être dans les institutions, la démocratie, le besoin de liberté et de justice sont déjà dans les têtes.

L’Algérie ira irrésistiblement vers une nouvelle forme de gouvernance. Il faut accompagner ce mouvement et agir en conséquence. Les premiers responsables de l’État en sont conscients. À ceux qui portent le projet du changement d’apporter des gages qu’il ne s’agit pas de mener le pays vers le désordre.

TSA. Quelles sont vos propositions pour arriver à ce consensus ?

Soufiane Djilali. D’abord créer les conditions d’un retour de confiance. Un dialogue sérieux et fertile peut grandement y contribuer.

Ensuite ouvrir significativement les médias et faire participer au débat national l’ensemble de la société politique (partis, syndicats …). Il faut garder en tête que malgré tout, le processus demandera du temps, bien qu’il y ait urgence à le mettre en œuvre, sans confondre vitesse et précipitation.

Patience et détermination devront être les maîtres mots dans cette phase. Ensuite, une dynamique peut s’enclencher dans les domaines politiques, institutionnels et surtout économiques. Si le gouvernement réussit à mettre en œuvre une politique de développement fiable et efficace, alors beaucoup de nos soucis commenceront à se résorber.

Si les Algériens reprennent confiance, d’abord en eux-mêmes, tout deviendra possible. Dans 5 à 10 ans, l’Algérie pourra être métamorphosée. Il faut en convaincre les Algériens et leur offrir ce challenge !

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