Économie

Tournesol, une culture devenue stratégique pour l’Algérie

L’Algérie met le cap sur la culture du tournesol afin de produire sa propre huile alimentaire, développer son agro-industrie et réduire sa dépendance vis-à-vis de l’étranger pour ce produit stratégique.

Quels points communs entre frites, zlabia ou margarine ? Pour tous ces produits, leur préparation dépend de l’huile de table, fabriquée à base de tournesol, soja ou colza.

L’huile alimentaire fabriquée à base de tournesol est reconnue pour ses nombreuses qualités. Mais une huile produite principalement en Ukraine et dont la disponibilité s’est réduite depuis le déclenchement de la guerre avec la Russie il y a plus d’une année. Une situation à laquelle l’Algérie tente de faire face.

La consommation d’huile de table est importante en Algérie. On compte en moyenne 15 litres par habitant et par an selon une étude menée en 2019. Une huile essentiellement issue de la trituration d’oléagineux : soja, colza ou tournesol.

Algérie : une demande croissante d’huile de tournesol

La consommation d’huile de tournesol prend différentes formes. A celle des ménages s’ajoute celle des industries agroalimentaires, des pâtisseries et des restaurants.

Cette huile sert notamment à la fabrication de la margarine. Un produit aujourd’hui largement répandu avec la marque Fleurial de Cevital, Tartio d’Almag, Sol de Mateg ou La Belle de la société du même nom.

La margarine de feuilletage est particulièrement prisée pour la confection de viennoiseries et de pâtes feuilletées, brisées ou sablées ainsi que celles destinées aux pizzas.

Un autre débouché concerne l’huile de friture. Un mode de préparation largement utilisé au sein des familles algériennes pour préparer différents plats (frites, gâteaux traditionnels, etc) mais également dans le secteur de la restauration rapide et de la pâtisserie avec les zlabia et beignets.

La tentation d’utiliser l’huile d’olive pour remplacer l’huile de tournesol est séduisante sur le papier. Une récente étude indique que sa consommation annuelle est en moyenne de 6 litres par personne en Algérie. En fait, son prix élevé ne permet pas de l’utiliser en remplacement de l’huile de tournesol.

Huile de tournesol : bonne tenue à la cuisson

L’engouement pour l’huile de tournesol réside dans son utilisation pour la friture. Elle peut être utilisée huit à dix fois avant d’être remplacée. Cette particularité vient de son point de fumée qui est particulièrement élevé.

Ce paramètre correspond à la température à partir de laquelle une huile émet de la fumée. Un critère primordial car il définit la stabilité d’une huile à la friture. Amenée à une trop forte température, l’huile se décompose en différents composés qui peuvent être cancérogènes. Avantage pour l’huile de tournesol, elle peut être chauffée jusqu’à 232°C contre 107°C pour l’huile de colza.

L’Ukraine, premier producteur mondial

Sur une production mondiale de 16 millions de tonnes, l’Ukraine est le premier producteur d’huile de tournesol avec 4,4 millions de tonnes suivie par la Russie avec 4 millions de tonnes.

A eux deux, ces 2 pays représentent donc 50 % du total mondial. L’essentiel de la production ukrainienne est exporté sous forme de grains et d’huile brute. En 2022, le cabinet d’analyse Agritel rappelait la dépendance de l’Europe : « L’Ukraine représente 50 % des parts de marché de ce produit. Si l’on ajoute la Russie, c’est 80 % des parts de marché ».

La récolte ukrainienne en baisse

Début 2022, le cabinet de conseil ukrainien APK Inform indiquait que la production locale pourrait être amputée de 30 % : « Le déclin s’explique par le fait que la majorité de l’activité militaire se déroule dans les régions clés de la production de graines de tournesol ».

Au-delà des zones de production, les craintes portent aussi sur l’arrêt des unités de trituration. La plupart de ces usines sont à l’arrêt.

En avril 2022 la société de commerce Feed Alliance s’inquiétait qu’environ seulement « 10 usines de trituration sont encore fonctionnelles dans le pays, qui en compte aux alentours de 70. La plupart d’entre elles sont situées dans l’est du pays, là où l’activité militaire est la plus intense », tandis qu’un représentant de Cargill exprimait ses craintes : « Nous avons une usine de trituration de graines de tournesol autour de Kherson en joint-venture. Les semis, la trituration et l’accès aux ports vont être extrêmement compliqués.»

Augmentation des surfaces de tournesol en Europe

Aujourd’hui en Europe, de nombreux agriculteurs se tournent vers la culture du tournesol. Les négociants l’achètent jusqu’à 1.000 euros la tonne, contre à peine 350 euros en 2021.

Le prix de l’huile de tournesol a flambé. De 1.205 € la tonne en décembre 2021, il a atteint 2.000 € la tonne en mai 2022. En 2020, c’est à peine si le prix évoluait aux alentours de 750 € la tonne.

Avec des rendements moyens de 20 à 30 quintaux et des besoins réduits en produits phytosanitaires ainsi qu’en engrais, la marge financière du tournesol est intéressante. En France, dans de nombreuses régions, les plantations de tournesol ont doublé.

La production nationale comme alternative

Début mars, le ministère de l’Agriculture et du Développement rural (MADR) a lancé un programme de développement de la culture du tournesol qui vient s’ajouter à celui en cours concernant le colza.

La crise du Covid-19 et celle en Ukraine montrent que disposer de moyens financiers ne suffit pas en cas de désorganisation des circuits logistiques internationaux.

Le programme national tournesol prévoit des prix attractifs pour les agriculteurs. Le quintal de tournesol devrait être payé 9 000 DA auquel devrait être ajoutée une prime de 3.500 DA. A raison de rendements moyens de 15 à 20 quintaux, ces prix permettent de faire jeu égal avec la production de blé dur dont le quintal est payé 6.000 DA.

Reste à assurer l’encadrement technique des agriculteurs pour une culture nouvelle dont toute erreur de conduite peut s’avérer rédhibitoire pour la poursuite du programme. Un programme qui vise des emblavements portant sur 45.000 hectares.

Un encadrement technique qui s’étoffe

Ce programme dispose d’un encadrement technique qui s’étoffe. Aux instituts techniques dépendant du MADR s’ajoutent les Chambres d’agriculture, les Coopératives de Céréales et de Légumes Secs (CCLS) et les entreprises semencière étrangères.

Ces dernières disposent d’un réseau de techniciens algériens qui accompagnent les agriculteurs. C’est le cas de la société Basf avec ses variétés de colza Invigor de type Clearfield. Ces firmes ont mis sur pied un programme d’appui technique aux agriculteurs appelé Maghreb Oléagineux. Un programme soutenu par un financement de l’Union Européenne.

A terme, ce type d’appui technique pourrait être renforcé avec le service agronomique des usines de trituration. Il s’est révélé particulièrement efficace dans le cas de la tomate de conserve. La vulgarisation du repiquage en plein champ de plants élevés sous serre par la cellule agronomique du groupe Benamor a ainsi permis de tripler les rendements de la tomate.

Des industries de trituration installées sur le littoral

Les usines de trituration d’oléagineux sont situées à Jijel, Béjaïa ou Oran. Toutes sont installées sur le littoral. Signe que si les investisseurs à l’origine de ces projets sont disposés à utiliser des oléagineux produits localement, ils ne s’interdissent pas le recours à un approvisionnement par bateau en provenance de l’étranger. La balle est donc dans le camp des services agricoles.

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