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Huit ans après les premières révoltes, les dirigeants arabes n’ont retenu aucune leçon

Huit ans après les premières révoltes, les dirigeants arabes n’ont retenu aucune leçon

Abdelfattah Al Sissi vient d’être réélu à la tête de l’Égypte. Cela n’a rien de surprenant tant personne ne se faisait d’illusions sur l’issue d’un scrutin biaisé dès lors que toutes les autres candidatures susceptibles de bousculer le raïs étaient rejetées. La seule illusion à laquelle on pouvait raisonnablement s’attacher, c’est de voir le président sortant se soucier au moins des apparences.

C’est dire si la déception est totale en apprenant le score avec lequel les Égyptiens auraient donc plébiscité leur président : 97% des voix, un score proche de ceux réalisés par Ben Ali ou Saddam Hussein. En 1999, l’ex-homme fort de Tunis s’est offert un score de 99%. En 2002, au summum de sa folie, l’ancien dictateur irakien avait fait 100% de voix récoltées pour un taux de participation tout aussi plein.

Retour à la case départ

L’ex-maître de Bagdad avait peut-être à sa décharge le fait de ne pas trop croire à sa mascarade, son geste étant plus un pied de nez fait aux occidentaux qui réclamaient sa peau qu’autre chose. Al Sissi, lui, est élu avec un score à la soviétique et il ne s’empêchera pas de le rappeler à chaque fois que quelque ONG internationale ou opposition interne se permettra d’émettre des doutes sur sa légitimité.

Il est regrettable de constater que huit ans après les premières révoltes, les promesses du Printemps arabe s’évaporent tour à tour. Il ne subsiste que des souvenirs, des slogans criés par des foules déchaînées et des places devenues depuis emblématiques. Pour le reste, c’est quasiment le retour à la case départ pour les peuples de la région, si ce n’est parfois une régression que personne ne souhaitait. Même quand les despotes sont chassés, ils trouvent les ressources pour rebondir, tout au moins par leurs pratiques.

En Égypte, le départ de Hosni Moubarak après 30 ans de règne sans partage était accompagné d’un espoir réel de lendemains meilleurs. Mais la désillusion sera au bout. La parenthèse de l’islamiste Mohamed Morsi, élu en 2012, sera fermée au bout d’une année et le pays s’offrira un sixième président, le cinquième à être issu de la puissante institution militaire depuis la révolution de 1952 et l’avènement de la république.

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Remplacer un dictateur par un autre, chasser un général pour faire appel à un autre officier, fut-il maréchal, ce n’était pas là l’aspiration des centaines de milliers de révoltés qui avaient fait vibrer la place Tahrir en 2011.

Kadhafi et les autres

Dans de nombreux autres pays, c’est le chaos et la désolation. En Libye, les factions armées font leur loi et aucun gouvernement n’est parvenu à asseoir son autorité sur l’ensemble du territoire. Toutes les tentatives de la communauté internationale et des pays de la région de rapprocher les vues et d’amorcer un processus de reconstitution de l’État ont buté sur l’intransigeance de chefs de guerre surgis de nulle part.

Dans un pays dirigé pendant quarante ans par Kadhafi, il est dans l’ordre des choses que les apprentis dictateurs foisonnent. Aux dernières nouvelles, l’un des fils de Kadhafi, Seif Al Islam, nourrirait même l’ambition de reprendre les rênes du pays. Et par les urnes s’il vous plait.

En Syrie, Bachar al Assad, depuis 18 ans au pouvoir qu’il a hérité de son père, qui l’avait, lui, exercé pendant plus de deux décennies, tient toujours bon malgré une guerre civile particulièrement meurtrière. Le pays a payé un lourd tribut en vies humaines et est aujourd’hui au bord de la partition.

Lasses de réclamer le départ du dictateur, la communauté internationale et même des factions de l’opposition armée se sont résignées à accepter l’éventualité qu’il continue encore à diriger le pays. Un pays déjà amputé d’une partie de sa souveraineté au profit de Moscou et, peut-être, bientôt d’une partie de son territoire.

Le Yémen aussi sombre dans la guerre civile et collectionne les drames humanitaires entre épidémies et famines. Parmi les acteurs du conflit, un certain Ali Abdallah Salah, chassé du pouvoir par la rue, mais qui n’a jamais désespéré de le reprendre jusqu’à ce que les rebelles Houthis lui ôtent à jamais cette ambition d’une balle dans la tête. Depuis, son fils, qui devait naturellement lui succéder à la tête du Yémen, jure vengeance. Et plus si…

Allergie à la démocratie : une idée encore plus meurtrière  

Même dans les rares pays où il y a eu un semblant de changement pacifique, comme en Tunisie, on est encore loin de la démocratie rêvée. Une certaine alternance s’est certes installée, mais les tenants de l’ancien régime, et surtout ses pratiques, sont toujours là. On prête même au président actuel, un ancien ministre de Benali, des velléités de préparer son fils pour une succession dynastique.

Au Maroc, l’accession des islamistes au pouvoir n’est qu’illusion, puisque tous les leviers demeurent entre les mains du roi. La presse et les associations subissent encore des pressions et les mouvements de protestation, pourtant pacifiques, comme ceux du Rif et depuis quelques semaines de Jerada, sont réprimés sans ménagement.

Quant aux États épargnés par cette vague appelée le Printemps arabe, comme l’Algérie et les monarchies du Golfe, c’est le statu quo et l’immobilisme. En tout cas, point d’ouverture, encore moins d’alternance. Même l’Irak, qui a vu sa démocratie arriver à bords des chars américains, se morfond dans des tiraillements confessionnels et les guéguerres des chefs religieux.

Printemps arabe ou pas, les pays de la région donnent cette impression d’être allergiques à l’ouverture, à la démocratie, au respect des droits de l’Homme et à l’alternance au pouvoir.

La démocratie serait donc incompatible avec les sociétés arabes et musulmanes. L’idée a fait son chemin jusqu’à entendre des voix regretter des despotes sanguinaires, d’autres brandir la menace du chaos si tel président venait à partir. Un raccourci d’autant plus révoltant qu’il n’est pas emprunté par les seuls thuriféraires des régimes en place. Des pans entiers des sociétés ont tendance à y croire, et c’est peut-être là le véritable drame du monde arabe…

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