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Islam en France : rejeté par la politique, adulé par le marketing

Islam en France : rejeté par la politique, adulé par le marketing

Si l’on se promène dans les rayons de grandes chaînes de supermarchés français ou que l’on suit les influenceurs web les plus populaires en France, on pourrait croire que la communauté musulmane et ses traditions sont totalement prises en compte par la société française. Pourtant la réalité est plus complexe.

Chaque veille de Ramadan est marquée par une contradiction française. Ce moment-clé de l’Islam est devenu un événement particulier dans toute la France.

Avec près de 5 millions de pratiquants, l’Islam est considérée comme la deuxième religion de France. Le Ramadan est devenu une célébration religieuse que l’on prend en compte dans le quotidien français. Mais c’est surtout le secteur commercial qui met l’accent sur cet événement et qui le normalise.

Les supermarchés annoncent en grande pompe la venue du Ramadan plusieurs semaines avant son commencement. Le mois de jeûne a le droit aux mêmes opérations commerciales que des fêtes religieuses comme Noël ou Pâques.

 

Les grandes surfaces n’hésitent pas à proposer des produits alimentaires et de maison commercialisés dans des pays arabes et à les valoriser. Le mot « ramadan » n’est plus enfoui dans une communication floue qui prendrait le thème d’un paradis oriental ou des « mille et une nuits ». Il est désormais clairement assumé.

La situation pourrait sembler évidente si la France n’était pas considérée comme l’un des pays européens où l’islamophobie est croissante. En 2020, Emmanuel Macron était en première page du 6e rapport sur l’islamophobie en Europe.

Le musulman, un client avant tout

Le contraste est saisissant entre le monde de l’image, du marketing et la réalité politique en France. L’Islam est un gros sujet pour la société civile comme la politique française.

On peut même dire que la pratique musulmane a rythmé les débats durant le précédent mandat d’Emmanuel Macron. Au point que la loi contre le séparatisme votée en 2021 a intégré de nombreuses mesures pour diminuer la visibilité de l’Islam en France.

On pense notamment à l’interdiction du port du voile pour les mineurs dans l’espace public. Sa présence est également interdite lors de sorties scolaires. Le burkini est banni des lieux de baignade publics.

La présence visible de signes religieux pose clairement problème en France. Pourtant de l’autre côté, les marques et enseignes n’hésitent pas à marteler des messages publicitaires appelant à assumer clairement leur appartenance à une religion par le biais de la consommation.

Ainsi tajines et couscoussières pullulent dans les rayons des supermarchés, des grandes marques comme H&M affichent souvent des femmes voilées dans leurs publicités, Ikea a même imaginé un salon oriental sur mesure pour les soirées du ramadan comme l’indique son site Internet. Les musulmans sont des clients au même titre que les autres.

L’enjeu commercial dépasse les positions politiques même lorsque les décideurs français se mêlent des propositions commerciales du secteur de la vente. Il est difficile d’oublier la polémique en 2019 autour du hijab sportif vendu par la marque française Décathlon.

Ce produit prévu pour les Musulmanes afin qu’elles puissent participer à des activités sportives comme le running tout en respectant leur culte, avait déclenché la colère de certains partis politiques.

Par exemple, Lydia Guirous, qui était porte-parole pour le parti de droite Les Républicains, dénonçait une « association entre le communautarisme et le libéralisme économique« . Décathlon avait finalement retiré ce produit de ses magasins en France mais pas dans les autres pays où elle est présente.

Malgré de rares scandales commerciaux, le marketing ne compte pas lâcher cette clientèle qui est de plus en plus en demande de produits sur mesure.

Le business communautaire se place aussi sur le marché

Les grandes enseignes n’ont pas le monopole de ce marché que représentent les Musulmans de France. En parallèle, le pays a vu la naissance d’un marché du halal qui vise à faire des Musulmans des clients comme les autres.

Ce marché est en perpétuel essor, même s’il a connu un ralentissement depuis l’an dernier en raison de l’inflation en France. En 2022, le chiffre d’affaires de ce secteur s’élevait à 431,46 millions d’euros, soit une hausse de 12,4% par rapport à l’année précédente. Habituellement la croissance du marché du halal est bien plus conséquente.

Ce chiffre d’affaires repose sur toute une industrie qui a su s’aligner sur les produits français classiques. Des ingrédients habituellement utilisés par les diasporas arabo-musulmanes (semoule, dattes, lben, feuilles de brick…) notamment originaires du Maghreb. Mais aussi des produits transformés comme la charcuterie, les plats préparés ou même les boissons.

Des marques comme Isla Mondial, Réghalal, Mil Brick, La Pastilla sont leaders dans la proposition culinaire halal. Ces chaînes sont désormais portées par les grands supermarchés classiques français mais aussi des grandes surfaces halal comme la chaîne H. Market.

Les supermarchés H. Market basés en banlieue parisienne et en Belgique vendent essentiellement des produits considérés comme halal à prix réduits. Ces magasins revendent les stocks invendus des supermarchés traditionnels. Ce genre d’établissement clairement identifié comme halal assure la vente de ce type de produits et les rend financièrement accessibles à toutes les classes sociales.

Ce marché du halal est également porté par les réseaux de petits commerçants halal dans toute la France, comme les boucheries et les épiceries. Côté promotion, les influenceurs web musulmans sont la vitrine de la consommation halal.

Ils se font même les pédagogues de l’Islam et de sa version pratiquée en France. Les agences d’influence web ont leur vivier d’ambassadeurs qui pourront conseiller les meilleures pratiques et produits adéquats pour le client musulman.

Une forme d’identification superficielle pour les musulmans de France ?

Ce statut de client lambda compense-t-il le manque de considération dont souffrent beaucoup de musulmans en France ?

« Je ne suis pas dupe. Ce n’est pas parce que je peux acheter des dattes et de la semoule chez Carrefour ou que je vois une femme voilée dans une pub H&M que je suis intégrée au paysage français. Ce marketing et cette communication ne me rassurent pas sur ma place en tant que musulmane, mais j’avoue que ça me fait du bien de me reconnaître dans ces images. Je peux m’identifier dans ces modèles. Et au moins c’est la preuve que nous sommes bel et bien ici dans ce pays et que nous avons un pouvoir décisionnel, qui passe par notre pouvoir d’achat », confie Soumaya, une jeune franco-algérienne de 33 ans qui porte le voile.

Le marketing reflète tout simplement ce qu’est réellement la société française. Même si les décisions politiques se concentrent sur un contrôle de plus en plus rigoureux de l’Islam dans l’espace public, elles n’effacent pas la réalité et encore moins la présence de musulmans français.

Le marketing se contente de le reconnaître et de l’exploiter. Aujourd’hui le capitalisme fait davantage fi des différences ethniques et culturelles que la politique, et préfère s’adresser à ces clients qui souhaitent allier leur engagement dans la société française sans pour autant abandonner quelque chose d’aussi intime que leur religion. Il change les représentations mais pas le fond de la société française.

« Pour moi ça ne compense rien, je n’estime pas avoir les mêmes droits que n’importe quel Français parce que j’ai ma gamme de produits halal dans les supermarchés. Ce genre de démarche nous permet en tant que Français musulmans d’avoir accès aux mêmes modes de consommation que tous les Français. Je suis ravi de pouvoir manger ma charcuterie halal lors d’une raclette entre amis. Mais je ne peux pas me contenter de ça, je ne dirai pas que ça m’aide à mener à bien tous mes projets personnels et professionnels en France et surtout d’assumer pleinement ma pratique de la religion. Il ne faut pas se mentir, ces publicités ne feront pas disparaître la discrimination à l’embauche ou dans l’attribution de logements », explique Mohamed, un franco-marocain de 36 ans.

Ce dernier aimerait avant tout obtenir la preuve que sa citoyenneté est tout autant respectée que celle de n’importe qui, qu’il soit musulman ou non.

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