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Yasmina Khadra : nul n’est prophète en son pays 

Yasmina Khadra : nul n’est prophète en son pays 

C’est aussi ça le rôle d’un intellectuel, organique ou pas : soulever des vagues quand tout baigne dans la léthargie.

Yasmina Khadra l’a fait, sans doute malgré lui.

La polémique de l’été en Algérie tourne autour de sa personne, ou de sa personnalité pour être précis.

Il est attaqué, il rend coup pour coup. Cela a le mérite de nous rappeler qu’il y a encore dans ce pays quelque chose qui s’appelle la littérature.

Beaucoup admirent Yasmina Khadra et ses œuvres, comme le démontrent les salles archicombles partout où il met les pieds en Algérie ; d’autres ne le portent pas dans leur cœur, comme on le voit à travers les critiques qu’il essuie sur les réseaux sociaux.

On l’aime ou on ne l’aime pas, on le défend ou on l’enfonce, l’auteur de « L’écrivain » ne laisse  jamais indifférent.

Jamais peut-être un écrivain ou intellectuel algérien n’a fait l’objet d’autant de passions et de tiraillements. On n’a pas vu ça depuis Tahar Ouattar et ses polémiques sur l’arabisation et la révolution agraire.

Une chose met toutefois tout le monde, admirateurs comme pourfendeurs, d’accord : Yasmina Khadra, de son vrai nom Mohamed Moulessehoul, est un grand écrivain, en tout cas leromancier algérien le plus lu, le plus prolifique et surtout le plus traduit dans le monde, donc le plus connu.

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Que lui reproche-t-on alors ? Plein de choses.

On lui tire dessus de toutes parts. Lui-même le sait, écrire dans la langue française est déjà un délit pour une partie de la société algérienne contemporaine, quelque soit la teneur de l’œuvre.

On l’a reproché par le passé à Kateb Yacine, puis à Tahar Djaout dont la mort, en 1993 sous les balles du terrorisme, fut qualifiée par un célèbre écrivain arabophone de « perte pour la France ».

Yasmina Khadra n’est pas le premier à faire les frais du clivage vieux comme l’indépendance.

Sa réponse est toute prête, il la tire de sa tendre enfance : contrairement à son enseignant de langue arabe, son prof de français l’a encouragé à chaque fois qu’il lui déclamait un de ses poèmes improvisés.

Quand il se fait recevoir par l’ambassadeur de France en Algérie, c’est l’occasion rêvée pour lui régler son compte.

« J’ai été reçu par des chefs d’Etat, des altesses royales, des ministres, des gouverneurs, des prix Nobel, des stars de Hollywood, des maires, des ambassadeurs, des génies planétaires, des magistrats emblématiques, des icônes algériennes, et des célébrités formidables de par le monde », répond-il dans un post plein d’amertume sur les réseaux sociaux, accompagné de dizaines de photos le montrant avec les grands de ce monde. Encore une facette de sa personnalité qu’on dit « arrogante » ?

« J’ai épuisé tout mon stock d’indulgence »

On lui reproche aussi de laisser son passé de militaire déteindre sur l’ensemble de son œuvre, ses personnages, ses idées.

Il y a encore vingt ans, Mohamed Moulessehoul combattait le terrorisme sur le terrain, armes à la main, en sa qualité d’officier de l’ANP. Ce n’est qu’après sa retraite avec le grade de commandant qu’il prendra le pseudonyme de Yasmina Khadra pour se lancer vraiment dans la littérature, après tout de même six romans signés de son vrai nom dans les années 1990.

Le succès sera vite au rendez-vous. Dans presque toutes ses œuvres, il est question de terrorisme et d’islamisme qu’il poursuit partout, d’Alger à Baghdad et même à Kaboul.

Dans ses romans, il dénonce tant le fanatisme religieux que les injustices qui le nourrissent, comme la situation du peuple palestinien ou l’invasion américaine de l’Irak.

Comme pour ceux qui lui en veulent d’écrire en français,  cette catégorie de pourfendeurs n’a pas besoin de lire ses œuvres, encore moins de les comprendre.

Yasmina Khadra s’est lui-même désigné comme cible pour les tenants de l’idéologie rétrograde.

Il y en a aussi parmi les activistes du Hirak qui le traitent d’ « intellectuel organique », pour son manque d’implication dans le mouvement populaire de 2019 et surtout son silence alors que plus de 300 détenus d’opinion sont derrière les barreaux en Algérie.

Là encore la situation et le parcours de Khadra ne cadrent pas avec la définition que donne à cette notion son inventeur, le philosophe italien Antonio Gramsci.

On a un peu trop vite oublié que l’écrivain a démissionné en 2014 avec fracas de son poste de directeur du centre culturel algérien de Paris, pour protester contre l’ « absurdité » que constituait à ses yeux la candidature de Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième mandat.

Et ce n’est pas fini. Ceux qui n’ont pas de raison idéologique ou politique de s’en prendre à Yasmina Khadra, l’attaquent sur sa personnalité, dénoncent son « arrogance ».

Toutes ces critiques et attaques l’affectent et il ne s’en cache plus, comme le montre son dernier post : « Que Dieu leur pardonne, moi, j’ai épuisé tout mon stock d’indulgence. Il est des êtres qui, si on venait à leur offrir la lune sur un plateau, ne verraient que l’éraflure sur le plateau. »

Grand écrivain qu’il est, peut-il à ce point ignorer que nul n’est prophète en son pays ?

 

 

 

 

 

 

 

 

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